Dans la classe de mon fils, Olivier, il y avait un garçon nommé Victor qui ne comprenait pas grand-chose. Tous les autres enfants se moquaient de lui. Et souvent, la maîtresse aussi, un petit peu, pas méchamment. Mais personne n’aime être moqué par les autres, et encore moins par la maîtresse, c’est très vexant. Alors, un jour qu’Olivier et sa petite copine sont rentrés à la maison avec encore une bonne histoire sur ce que n’avait pas su faire Victor, ou ce qu’il avait fait à l’envers, je me suis un peu fâchée. Je leur ai dit :
- Je n’aime pas du tout que vous vous moquiez de Victor. Ses parents sont portugais, ils parlent mal le français, ils ont 5 enfants et beaucoup de travail, ils ne peuvent pas aider Victor à faire ses devoirs, à apprendre ses leçons. Comment vous feriez, vous, si vous étiez dans un pays où l’on parle deux langues, une à la maison, l’autre à l’école ? Ce n’est pas évident ! Vous feriez bien mieux de l’aider, Victor, quand il ne sait pas faire, au lieu de rigoler de lui !
- Oh non ! a dit la petite amie d’Olivier, je l’aime pas, en plus, il nous attaque !
Olivier, lui, n’a rien dit.
Mais le lendemain, il est rentré à la maison et m’a annoncé :
- Maman, aujourd’hui, j’ai aidé Victor !
Je lui ai souri, ravie qu’il ait compris cette leçon qu’il n’avait pas apprise à l’école, et sur laquelle il n’y aurait jamais d’autre contrôle que ceux qu’il se ferait à lui-même. Il m’a expliqué :
- Y’avait des opérations à faire. Moi, j’ai vite terminé. Mais pas Victor, il faisait rien, comme d’habitude. Alors j’ai pensé à ce que tu avais dit et j’ai demandé à la maîtresse : – je peux aller aider Victor ?
- Et qu’est-ce qu’elle t’a répondu ?
- Si tu veux, si ça te fait plaisir … Alors je l’ai aidé. Il était très content !
- Tu vois, c’était pas compliqué ! C’est bien Olivier.
Les jours, les semaines ont passé, Olivier allait maintenant aider Victor à chaque fois qu’il le voulait, la maîtresse laissait faire. Un dimanche, Olivier dit : – faut réviser toutes les tables de multiplications, la maîtresse va faire un contrôle demain.
Bon, on passe le dimanche après-midi sur ces satanées tables de multiplications, on en ressort tous deux éreintés. Mais c’est bon, Olivier sait ses tables à la perfection et pourrait faire son contrôle les doigts dans le nez… s’il n’avait pas besoin de ses doigts pour tenir son stylo !
Mais quand il revient, lundi midi, je vois tout de suite à sa tête que quelque chose cloche.
- Ca s’est bien passé ce matin, ton devoir de maths ? je lui demande.
- Pas très… me répond –il. La maîtresse m’a mis zéro !
Je suis stupéfaite :
- Comment ça, zéro ? tu les savais par cœur, tes tables !
- Mais elle m’a puni.
- Pourquoi ? Qu’est-ce que tu avais fait de mal ?
- J’ai fini vite, et après j’ai fait comme d’habitude. J’ai été aidé Victor. Mais cette fois, j’avais pas le droit…. Comme elle avait dit que c’était important un contrôle, que ce serait dans notre carnet, alors justement, moi j’ai cru que c’était encore plus important qu’il ait une bonne note, Victor…
Je suis d’un naturel très calme, mais là, la moutarde m’est montée au nez. Je suis allée trouver la maîtresse, et je lui ai dit : – Je m’excuse de venir vous déranger, mais je viens vous voir à cause du zéro que vous avez mis à Olivier en maths, ce matin, franchement, il agissait par solidarité et je ne pense pas qu’il le méritait !
- Oh ! s’est exclamée la maîtresse, je le lui ai mis pour lui apprendre à ne pas se moquer du monde ! Parce qu’un contrôle, tout le monde sait que c’est personnel !…Mais je le lui enlèverai s’il se tient à carreaux, ne vous en faites pas !
A nouveau, cette sensation de colère en moi. Alors devant tous les enfants de la classe, je dis :
- Je ne tiens pas à ce que vous lui enleviez ce zéro. Au contraire. C’est une bonne leçon, finalement que vous lui donnez. Il aura appris, et tous les autres aussi, que c’est parfois risqué d’agir avec fraternité, qu’on peut en récolter beaucoup d’ennuis, mais tu peux être fier de ce zéro, Olivier, c’est un zéro sympathique !
Là-dessus, je suis ressortie de la classe, sous le regard médusé des autres enfants qui répétaient en le chuchotant : – Olivier, il a eu un zéro sympathique …un zéro sympathique…
Plusieurs années plus tard, au sein du collège, une bande d’élèves réunis dans une classe spéciale pour élèves en grande difficulté, semait la terreur auprès des autres collégiens de 6ème. Leur chef, Victor. Un jour, cette petite bande d’enragés a coincé Olivier dans les toilettes, ils étaient prêts à le racketter, ou à lui faire subir quelque raclée et lui pocher les deux yeux pour n’importe quel motif. Sauf que Victor tout à coup, a reconnu Olivier, et il a dit :
- Non, pas celui-là. Il est cool, lui. C’est lui qui m’a aidé, quand j’étais petit…
C’est donc à ce « sympathique » zéro en mathématiques et à son sens de la fraternité en CE1 que ce jour-là, Olivier a dû sa remise en liberté des toilettes du collège.
Quand il est rentré, il nous a raconté, et il a conclu :
- Ça m’a sauvé ! Mais tu sais ce que je pense, maman ? Si tous les autres l’avaient aidé, Victor, peut-être qu’il n’aurait plus eu personne à attaquer…non ?
jo. Hoestlandt