que faire avec le bateau rouge d’Oscar ?

Le bateau rouge d’Oscar est un beau grand album publié chez Flammarion et illustré par Amandine Piu. .

j’ai fait des animations en école maternelle autour de cet album. On se demande, avec les enfants, ce que devient le petit bateau parti vers l’horizon. Chacun fait une proposition, on en fait une liste, et on tente, à partir de cette liste, d’ordonner, de coordonner le catalogue des faits.

le plus : j’étais venue avec un bateau rouge, et même, deux bateaux. Je les ai déposés derrière la porte de la classe. A un moment, mon téléphone a sonné ( la maîtresse, en catimini). Elle a dit qu’elle était la mouette Coquillette, et qu’elle voulait parler à Oscar ( il y en avait un dans la classe) et à l’enfant stupéfait, elle a affirmé qu’elle avait vu son bateau sortir de la mer, s’en retourner en ville, vers l’école. Ensuite, ça a frappé à la porte, Oscar est allé ouvrir. Et là, se tenait le bateau rouge, trempé d’eau par les soins d’une maîtresse.

Stupéfaction garantie ! Et mille aventures, à partir de là, suggérées. qu’on écrit, qu’on illustre.

il y a

Toute mon enfance, mes institutrices, mes professeurs, se sont donné pour mission de m’empêcher d’employer l’expression que j’aimais : « il y a ». C’était « banal, fourre-tout, imprécis » Il fallait le remplacer par une expression plus adéquate. A des quoites ? A des couettes ?  Ce Il y a je l’aimais plus encore que le « il était une fois… » des histoires lues et relues. Dans « il y a « , il me semble que je devais entendre « île y a ». En tout cas, cela me faisait rêver.  Alors pour me venger, régulièrement, j’écris des phrases qui commencent toutes comme ça, par ce « il y a  » honnis des professeurs de mon enfance.

Il y a des petites filles à la tête penchée ; leurs larmes coulent toutes seules.

 

Il y a un silence entre chaque mot, comme un caillou blanc dans le courant.

 

Il y des chemins, on croit qu’ils s’arrêtent, mais c’est nous qui avons cessé de marcher.

 

Il y a des bancs vides, les oiseaux viennent s’y poser; pour penser.

 

Il y a tant d’étoiles, et nous regardons seulement où nous mettons les pieds.

 

Il y a la terre, et le ciel, et entre les deux, les balançoires qui peuvent donner mal au coeur.

 

Il y a des murs qui n’ont pas de porte, mais ce n’est pas grave, il n’y a qu’à les traverser.

 

Il y a du soulagement à avoir mal ici ; pendant ce temps, on n’a pas mal là.

 

Il y a des pardons qu’on accorde seulement pour voir souffrir l’autre encore un peu plus.

 

Il y a des malheurs qui s’acharnent sur nous, on sait très bien pourquoi.

 

Il y a des escaliers qui n’en finissent pas de monter et ce sont les mêmes qui n’en finissent pas de descendre.

 

Il y a des hommes qui attendent que les loups viennent pour allumer un feu.

 

Il y a celui qui prend la parole et celui qui donne la sienne.

 

Il y a la mort, à côté de la vie ; pas de l’autre côté, ni au delà, non, juste à côté de la vie.

 

Il y a des placards, on croit qu’ils sont vides, mais on ne sait jamais.

 

Il y a peut-être de la place pour tout le monde, mais où ?

 

Il y a d’autres occasions que la peur de trembler de tout son corps.

 

 

Il y a des gens qui ne sont pas des anges mais qui tombent des nues.

 

Il y a des îles qui ne sont pas dans la mer.

 

Il y a des marées hautes qui montent jusqu’aux yeux.

 

Il y a peut-être une seconde où tout s’éclaire, mais on ne le sait pas, parce qu’on a fermé les yeux.

 

Il y a tant de courage à se glisser simplement, chaque jour, à travers les barreaux de sa vie.

 

Il y a des arrière pensées qui peuvent poireauter longtemps.

 

Il y a d’inimaginables baisers au bord de toutes les lèvres.

 

Il y a l’enfant perché sur un tabouret, prêt à s’envoler.

 

Il y a des bateaux où l’on ne monte jamais et qui vous bercent pourtant.

 

Il y a ceux qui n’ont même pas besoin d’un verre d’eau pour se noyer.

 

Il y a, en tout désir, un doute qui serre le coeur.

 

Il y a des moments où l’on croit marcher vers l’horizon, mais si c’était l’horizon qui se rapprochait de nous ?

 

Il y a la pluie qui tombe de si haut et qui dit tout bas merci merci merci…

 

Il y a toutes ces verticales qui regardent de haut les pensives, les rêveuses horizontales.

 

Il y a des réponses qui n’arriveront jamais à la cheville des questions posées.

 

Il y a la lettre sans destinataire, qu’on n’envoie jamais, mais qu’on écrit toute sa vie dans son coeur.

 

Il y a la chanson qui vous tombe au matin dans une oreille et ne ressort pas par l’autre.

 

Il y a notre hésitation à traverser quand plus personne ne nous tient la main.

 

Il y a la lampe allumée près du lit. Elle sait tout de nos livres, de nos amours, de nos rêves aussi.

 

Il y a des gens de toutes les couleurs, mais on en voit surtout des gris. D’aigris ?

 

Il y a toutes ces larmes qu’on n’a pas versées et qui font un petit fleuve tranquille au fond de nous.

 

Il y a celui ou celle qu’on attendait, dont le sourire est une barque rouge où l’on monte pour un voyage qu’on espère sans retour.

 

Et il y a, il y a ces mains qui semblent faites pour accueillir les oiseaux, et ces paupières comme des berceaux renversés pour retenir les anciens rêves d’enfants.

Un anniversaire- camion

Sous ce titre un peu énigmatique, une petite histoire courte et simple, publiée en Petite Poche chez Thierry Magnier. Une petite fille, Stéphanie, se voit offrir pour son anniversaire, d’accompagner sa grand-mère, chauffeur routier, en Angleterre.e au citron Sa cousine a déjà bénéficié du même cadeau. Alors, au départ, quoique contente, Stéphanie n’est pas surprise. Mais ce voyage va se révéler plus inattendu que prévu.

Comme ça, cela n’a l’air de rien, une petite histoire simple, complicité avec la grand-mère, cadeau, anniversaire comme les éditeurs aiment à signaler avec les mots-clés au dos de la couverture. Sauf que moi, j’aime bien quand ça dérape un peu. La grand-mère a du vocabulaire, le trajet de l’étrangeté, et le camion ne transportera pas que des melons. Vous mettrez bien un peu de sel dans le thé, non ? In english : you’ll put a little salt in your tea, isn’t ? Ou quelque chose dans ce goût-là.

J’ai eu une grand-mère, ma mémé, qui n’était pas camionneuse mais causait kifkif. je l’ai adorée, et elle me l’a bien rendu. Je suis allée en Angleterre, plusieurs fois, toujours en ferry, j’aime bien. Calais-Douvres, Dieppe New Haeven. Mes souvenirs datent d’avant la jungle de Calais. Partir en Angleterre, alors, était un acte innocent et joyeux. Cela ne peut plus l’être vraiment, maintenant, il me semble. A présent, nous sommes accompagnés de tous les visages- fantômes de tous ces gens amassés là, qui nous regardent partir la rage au coeur et au ventre. Je me dis qu’au fil du temps, les mêmes actes ne signifient plus les mêmes choses… Un professeur y verrait matière à réflexion. Mais un écrivain n’y voit que du feu, matière combustible.

annonces immobilières

Aujourd’hui, j’ai trouvé dans la boîte aux lettres une revue immobilière me proposant 80 pages de maisons et appartements tous disponibles pour moi, contre quelques millions, mais ça, bon, passons, ça n’empêche pas l’imagination. Ce qui rend le rêve facile, même pour un rêveur immobilier débutant, c’est que toutes ces merveilles d’habitations potentielles ne se trouvent pas au bout du monde, loin de là ! Mais dans mon département, voire dans la ville où j’habite actuellement. Allez savoir même s’il ne s’en trouve pas une dans mon quartier, à portée de mon regard. Curieuse, je scrute chaque photo. N’ai-je pas déjà vu cette maison-ci ? Ou celle-là ? Ne se trouve -t-elle pas non loin d’ici, dans la petite rue si sympa qui donne sur l’avenue qui va au RER, et donc, bien placée, au calme, facile d’accès. En un rien de temps, trois tours de pédale ou 5 minutes de marche, on est à la gare ( Nouvelle ! ) et de là, en deux temps trois mouvements, à Paris, où je pourrai, au choix, aller acheter une montagne de livres, visiter une expo, aller rendre visite aux amis qui jamais ne viennent en banlieue, regarder couler la Seine… rêver à ma jeunesse enfuie du temps où j’étais étudiante à la Sorbonne…

Chaque page, avec sa ribambelle d’appartements, maisons, propriétés, fait défiler devant mes yeux avides une myriade de possibilités. Ma vie, à chaque page, renouvelée, changée.

Tiens, voilà ce qu’il me faudrait ! un appartement à la vue  » dégagée » ! C’est le genre de mot qui n’a jamais été pour moi, jusqu’ici ! Je ne suis jamais parvenue à prendre l’air dégagé quand on me disait ou faisait une crasse, quand m’arrivait une tuile, et surtout pas quand on me le disait : – dégage ! Et que j’obtempérais, le coeur en ruines. Comment ne pas imaginer qu’en occupant un appartement à la vue dégagée, cela dégagerait en même temps mon cerveau ramollo de tout ce qui l’encombre, le maltraite, l’alourdit Avec ce 5ème étage-là, dégagé, je verrai peut-être enfin plus loin que le bout de mon nez ! Je ne ressasserais plus les mêmes images, les mots que je n’ai pas dits quand il le fallait, les mêmes sempiternels regrets.  Je m’affranchirais de pseudos obligations, me libérerais d’entraves plus ou moins imaginaires, me dépêtrerais les doigts dans le nez des situations délicates, me tirerais à temps des pièges tendus, le tout vite fait bien fait ! Cet appartement me dé-li-vre-rait !

Ou cette petite maison, là !  » Nichée dans nature » écrivent les bon génies immobiliers. Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Nichée, cachée, planquée, invisible, dans un écrin de verdure ! Comme un petit lapin dans son terrier ! Un oiseau dans son nid et que les chasseurs aillent se faire voir ailleurs ! Je pourrais même avoir un chien puisque j’occuperais une niche ! La partager avec un bon chien, et le creux vert des feuillages, sans compter que cela me réchaufferait, le flanc doux et tiède d’un bon chien, fait pas toujours chaud dans la nature !

Page suivante, on change de catégorie : une propriété, sur une page entière lui est réservée, cette fois, on nous en met plein la vue. Page 9. Proche de Montfort l’Amaury, disent-ils. Proche, mais pas « dans ». Un peu à l’écart, pour pas qu’on confonde les proprios avec n’importe qui. Montfort ! ça sent le  château fort non ? Les remparts, les fortifications, les tours de guet, on doit y regarder à deux fois avant d’aller embêter les gens de Montfort ! La propriété doit être entourée de hautes grilles, avec code d’entrée, surveillance électronique, vigilance 24h sur 24. Pas de demandeurs de quoi que ce soit à la porte, les vendeurs de calendriers renvoyés aux calendes, pas de marchands de tapis, de légumes ou de fruits, pas d’illuminés vous proposant une conversion sur le pas de la porte, pas d’anciens détenus venus vous vendre des biscuits ou des sérigraphies qui vous donnent mauvaise conscience si vous ne leur achetez rien et mal au ventre si vous mangez leurs biscuits ! Si j’habitais une propriété à Monfort, je ne prendrais plus de douche, mais des bains dans un jacuzzi, ( y met-on deux C, deux Z, et au fait j’avoue que je n’ai jamais vraiment su ce qu’était un jacuzzi et ce qui est perturbant c’est qu’en le prononçant, la seule image qui me vient est celle d’Emile Zola, solennel, déclarant : « J’accuse ! » et je ne vois pas du tout ce qu’il fabrique dans ma salle de bains ! ) Dans cette propriété, on nous annonce un  » parc paysagé ». Je pense que cela signifie qu’on a refait le paysage. En effet, faut bien l’avouer, quand c’est la nature qui fait le paysage toute seule, elle a tendance à faire un peu n’importe quoi. Elle ne respecte pas les besoins humains. Elle pousse n’importe où, n’importe comment, on ne sait où poser les pieds tellement il y a de cochonneries qui piquent, qui griffent, un vrai foutoir, un scandale ! On n’a quand même pas déboursé plus de 2 millions d’euros pour avoir la zone sous les yeux . On est à Montfort, nom d’un chien, où l’ordre règne, et la propreté ! Par ailleurs, la propriété est dite « rénovée ». ça, c’est du dernier chic ! Parce faire du neuf avec du neuf, c’est du métier, mais c’est simple. Tandis que faire du neuf avec du vieux tout en gardant le cachet du vieux mais sans renoncer à aucune des commodités du neuf, là, il y a du boulot pour un pro ! Planquer le micro-ondes dans le four à pain, les Led derrière les  poutres ou dans les bougeoirs, le jacuzzi dans l’auge, le lit inclinable douze positions dans l’alcôve, un vrai travail, comparable à celui d’un esthéticien à qui l’on prête le visage et le corps d’une femme de 60 ans qui veut en paraître 40 mais sans qu’on puisse deviner comment…

Mais la cerise sur le gâteau, moi je trouve, c’est qu’il y a  » une maison d’amis au fond du jardin ». ça, j’adore. Parce que, c’est vrai et faut bien le dire, ce qui est embêtant, quand on invite des amis, c’est qu’après, ils sont là !  On leur a dit, parce que c’était poli : faites comme chez vous !  » mais du coup, on n’est plus chez nous ! Et peut-être qu’on va en avoir marre, ou eux, parce que s’ils font comme chez eux, ils n’ont pas besoin de nous ! Mais personne ne met les pieds dans le plat. Tandis que là, pas d’entourloupe ! Les amis sont là, mais on ne les voit pas, on ne les entend pas, limite, on s’en fiche ! Ils sont là sans y être en somme ! Au fond du jardin qui, je vous le rappelle, fait 3500M2 ! On peut leur dire  » faites comme chez vous », ils le font, et nous on s’en fout ! De sorte qu’à Monfort, mathématiquement, on doit avoir plus d’amis qu’ailleurs, non ? Plus besoin de déplier le cli-clac qui prend la moitié du séjour et vous prive de la télé, d’entendre la chasse d’eau couler au milieu de la nuit alors qu’on n’est même pas allé faire pipi pour ne pas déranger, et les amis qui ronflent comme des ours le font au fond du jardin.

Cependant, une chose me gêne, qui fait que, bon, tant pis, je crois que je vais renoncer à la propriété de Montfort l’Amaury. C’est le « séjour- cathédrale ». Là, j’avoue, je coince. Je ne me vois pas apporter le poulet chips le dimanche midi, à la cathédrale. Je ne me vois pas le soir me triturer les ongles de pieds en regardant une série-télé débile où l’héroïne se déshabille plus vite que Zorro n’a jamais tiré son épée, dans une cathédrale ! Je ne me vois pas, en pantoufles et pyjama, grattouillant le ventre du chat et lui débitant de tendres âneries, dans une cathédrale. Je ne déteste pas les endroits très silencieux. A certains moments, même, aller à l’église me convient, comme ça, parce que la porte en est ouverte, qu’il y a toujours, dans l’ombre, de la lumière. Mais la cathédrale à domicile, le divin séjour, non, là, c’est trop. Je flanche. Je cale. Ma mémé aurait dit, dans un raccourci qui a enchanté toute ma vie : – Faut pas péter plus haut que son cul !

Dont acte. Je referme la belle revue papier glacé, la jette, poubelle jaune comme le soleil qui brille aujourd’hui dans le ciel de la banlieue de Paris, et m’en vais voir une amie qui habite, comme moi, un petit pavillon sur la ligne A du RER,  bien agréable, ma foi !

 

 

 

 

FOURMIDABLE

Qui n’a jamais regardé ces petites fourmis défilant, affairées, sur leur trajet bien déterminé ? Je me souviens l’avoir toujours fait, de l’enfance à l’âge que j’ai. Généralement, je les regarde distraitement, tout en lisant, assise sur une marche de l’escalier qui descend au jardin. Un jour de ma soixante huitième année, j’ai eu envie d’écrire ce texte-là : une petite fourmi, la numéro 68, se trouve, par amitié, entraînée à agir différemment de ce qu’elle a toujours fait. Son ami le puceron, lui posant des questions, elle doit se mettre à regarder, ressentir, réfléchir, toutes choses que, le nez sur le derrière de la fourmi 67 qui la précède, affairée à ses tâches programmées, elle n’avait jamais faites. Elle prend la tangente, et cela étant, commence à voir le monde, les autres, et elle-même, bien différemment.

J’ai eu 20 ans en mai 68. Et j’étais alors étudiante à Paris-Sorbonne. Cette période très brève, a été une explosion folle de vie et d’idées neuves. J’en ai gardé cette idée forte : ouvrons tout grand nos yeux, nos oreilles, nos bras, cela nous ouvrira l’esprit et le monde à la fois. Allons, au risque de nous perdre, et quand nous ne savons pas, imaginons. Voilà le thème de  » Fourmidable » paru en Petite Poche chez Thierry Magnier ( qui y a peut-être trouvé résonance à sa profession ! )