les condoléances ou rue des Souffrettes

J’ai reçu dans ma boîte aux lettres, l’avis de décès d’une personne que je ne connais pas. J’ai regardé l’enveloppe, c’était bien mon nom et mon adresse, et donc, ce n’était pas une erreur. Qui me l’avait envoyée ? La femme de cet homme ? Je ne la connaissais pas non plus. Pourquoi moi ? Par quel chemin tortueux cette idée lui était-elle passé par la tête ? D’après l’adresse, cette personne n’habite pas loin de chez moi, à deux rues de là, une ruelle que j’aime beaucoup et qui s’appelle  » rue des Souffrettes » Quand elle était petite, ma fille s’imaginait qu’habitaient là, autrefois, de petites filles toutes souffreteuses, orphelines sans doute. Il semble que de façon plus prosaïque, on y ait autrefois fabriqué des allumettes ( au bout souffré ) De sorte qu’ensuite, la petite souffreteuse a naturellement pris l’aspect de la petite fille aux allumettes d’Andersen, histoire terrible s’il en fût.

Je passe très souvent dans cette rue, quotidiennement, même, quand il fait beau, car elle est très calme, les voitures n’y ont pas accès. Se peut-il qu’on y pense à moi ? Que l’on m’y connaisse à mon insu ? Se peut-il que cet homme, mort, par l’intermédiaire de sa femme, m’envoie un message, m’adresse un signe d’amitié ? – » Voilà, me dit-il post mortem, vous ne me connaissiez pas, moi non plus, et maintenant, c’est trop tard. Regrettons-le ensemble, voulez vous ? Vous aimez bien ma rue, vous auriez pu bien m’aimer aussi peut-être, je vous aurais fait signe quand vous passiez, vous auriez reconnu ma voix, mon sourire… Mais s’il vous prend maintenant l’envie de me rencontrer, c’est trop tard. J’habitais là, je n’y habite plus, ce n’est pas ma faute, mais le fait est, c’est comme ça. Je n’y suis plus pour personne. Oui, dommage.

Devant le mystère, je suis comme la chatte devant la jatte de lait, enchantée. Que j’aime ne pas savoir ! Que j’aime imaginer ! Supposer ! Rêver ! Deviner !

Bientôt je me dirai que cet homme-là, sitôt nommé et sitôt disparu, j’y ai tellement pensé en une journée que je ne peux plus vraiment dire qu’il m’est inconnu. C’est dommage que je n’ai pas su comme il était malade ! J’aurais pu lui porter une salade de fruits frais, des madeleines toutes tièdes sorties du four, j’aurais pu le faire sourire avec l’histoire de nos petites souffreteuses, lui lire mes histoires, ou d’autres à voix haute ( je lis très bien, j’adore ça, déjà quand j’étais enfant les maîtresses s’adressaient à moi pour lire tout haut, en classe, le texte choisi )

Mais peut-être n’a-t-on pas eu le temps de me prévenir, dans le fond. Peut-être qu’il a eu un accident? La rue des Souffrettes, si tranquille, aboutit à chaque extrémité à de grandes avenues très passantes où roulent des gens très pressés, qui se fichent comme d’une guigne sans doute, le matin, à l’heure de partir au bureau, des vieux messieurs et des petites filles aux allumettes… N’y a-t-il plus rien que je puisse faire, maintenant ?

Si. Evidemment. Répondre à ce courrier par une lettre de condoléances. Puisqu’on m’a nominément envoyé le faire part de décès, je ne peux décemment plus faire comme si je ne savais pas, passer maintenant par la rue des Souffrettes pour me rendre au supermarché acheter une boite d’oeufs, le nez au vent, évitant seulement les flaques d’eau où un chat noir vient boire, souvent.

Alors j’écris :  » chère madame, je ne crois pas que nous nous connaissions, mais vous m’avez adressé un faire part m’annonçant le décès de votre mari et je tiens donc à vous faire part, en retour de mes bien sincères condoléances….

Et alors, en écrivant ce mot de  » condoléances » me vient à l’esprit et pour la première fois, qu’il doit venir du latin : « con » venant de « cum » qui signifie « avec » et doléance » venant de « dolere » qui veut dire souffrir. Ainsi, loin d’être abstraites, les condoléances signifient que l’on est avec la personne qui souffre, que l’on partage un peu de sa tristesse et de son chagrin. Ce qui est tout le contraire de la banalité,  ce qui change tout. La personne n’est pas seule. Quel beau mot, donc, que ce  » condoléances » à triste réputation …et … quelle chance j’ai eu de faire du latin !

Je lui dis cela, à la dame inconnue, ce que je viens de découvrir grâce à ce faire-part mystérieux qui m’est arrivé. Et je vais glisser ma réponse dans sa boîte aux lettres, à l’adresse indiquée.

La rue des Souffrettes a bien, ce matin, un visage pâle et féminin qui souffre en silence, malgré le soleil, d’une sorte de froid partout à la fois.

Mais pas de petite flamme d’allumettes

Pas de chat noir non plus, ni de flaque, d’ailleurs, seul un moineau, qui sautille, le bec même pas dans l’eau.

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