DE Laurent Mauvignier, j’avais lu « Apprendre à ne finir » et » Autour du monde » , deux livres dont ni le thème ni l’écriture ne m’avaient laissée indifférente. Les histoires de cet auteur qui en écrit beaucoup, semblent toutes écrites dans une urgence terrible, les phrases se poursuivant comme des chevaux pris dans un effarant galop dont on ne comprend pas vraiment la cause ni le but, le tout se cristallisant, peu à peu, pendant « la course » du récit. Peu d’auteurs sont capables comme celui-ci de tenir sur la longueur une écriture aussi exigeante nerveusement. Mais Mauvignier le peut parfaitement et entraîne le lecteur dans cette folle poursuite des personnages accrochés à leur destin comme Vercingétorix traîné par le cheval du vainqueur qui le tuera mais lui assurera en même temps une place irremplaçable dans l’histoire des évènements.
Dans » Continuer », titre bref s’il en est, et à l’infinitif ( pas à l’impératif, le personnage principal n’accepte d’ordre de personne, et ne s’en donne mêm pas à elle-même, non, elle est dans la prescription, l’ordonnance, elle se soigne, soigne son fils, malade ) dans ce roman, donc, on assiste à la reconstruction d’un couple qui n’est pas un duo habituel dans les romans pour adultes. Ce couple, c’est celui de Sybille, la mère, et de Samuel, son fils, un adolescent qui a de mauvaises fréquentations, qui assiste, sans broncher, au viol d’une camarade, un adolescent assez sombre, et qui sombre effectivement. Sybille, comme toute mère qui perd son enfant, s’accuse, se désespère, d’autant que le père lui renvoie d’elle-même une image désolante, humiliante.
C’est comme cela qu’elle décide de faire un coup d’éclat, un pari, autant sur elle que sur son fils. Ils vont partir, loin, très loin, seuls, pour se trouver et si possible, se retrouver. Ce sera le Kirghizistan ( ouf ! bravo l’orthographe !) et la rando se fera à cheval. Au pas, au trot, au galop, au fil des rencontres bonnes ou mauvaises, moments d’abandon, moments de douceur, d’espérance, de désespoir, on ne lâche pas le fil ténu qui relie ces deux là et que le voyage malmène, précipite, désarticule, puis reconstruit. Aucun angélisme, aucune mièvrerie, du chaos, des bleus, des bosses, des trous, des monts, des pentes, des descentes des remontées, les paysages qui s’étendent, ou vous écrasent, rien de définitif, tout peut arriver, tout arrive.
Et surtout, la présence muette des chevaux, qui portent les deux personnages et les emportent. A la fois, tous les détails matériels que le récit observe, la sueur du cheval mêlée à la leur, le crin dans leurs mains, le bruit différent de leurs sabots quand la teneur du sol change, et puis, ce dont ils sont le symbole, ces chevaux, ce qu’ils représentent, le bonheur, la liberté, le calme, le souffle, les rêves d’évasion, la vie qui continue, au pas, au trot, au galop, et la mort qui n’est pas loin, qu’on croise même pas au bout du chemin, dans le regard de l’animal qui meurt, emportant avec lui votre propre reflet quand sa paupière se ferme.
Je connais un de mes amis, au moins, à qui ce livre plaira sans doute. Quel plaisir de savoir que je vais pouvoir lui en faire cadeau, bientôt…