Nos étés ressemblant rarement à ce que nous prévoyons, les livres que nous emportons ne sont pas toujours ceux que finalement, nous lirons. Car nous les avons emportés avec nous pour certaines raisons, qui, au bout de quelques jours de vacances, finalement, ne sont plus forcément d’actualité. Alors les livres choisis restent parfois dans la valise, et c’est un autre titre qui vous accroche, tout à coup, dans une de ces petites bibliothèques improvisées où chacun est libre de mettre à la disposition de tous, les livres qu’il ne lit plus. ce n’est pas là les abandonner, mais les confier à de nouvelles mains, de nouveaux yeux, un coeur neuf, qui les aimera mieux.
Je n’ai donc pas tout lu de ce que j’avais emporté avec moi, » Frères migrants » de Chamoiseau, par exemple, ou « mécanismes de survie en milieu hostile » d’Olivia Rosenthal, ou » appels téléphoniques » de Roberto Bolano ( prononcez Bolagno, le n est espagnol.) Sans doute, fraîchement débarquée sur la plage de mes vacances, n’ai-je plus voulu voir en la mer un immense cimetière marin, n’ai-je plus, non plus, eu l’impression de devoir affronter un quelconque milieu hostile, et j’ai oublié mon téléphone ici, là, n’importe où, et m’en suis soucié comme d’une guigne.
Par contre, j’ai lu, sur impulsion et à toute allure » Si ce livre pouvait me rapprocher de toi » de Jean-Paul Dubois. Evidemment à cause du titre. Et parce que l’été est propice à ce genre de réflexe – marronnier : l’été est fait pour cela : se rapprocher de ceux que, dans l’année, nous négligeons, par manque de temps, manque de foi, manque d’envie. Il s’agissait de l’histoire d’un écrivain, marié mais sans enfant, qui part en voyage, seul. A la recherche de qui fut, vraiment, son père, de ce qu’il lui a transmis, laissé, cet héritage, mystérieux, sans objet particulier. D’abord il se pose, comme une mouche, ici ou là sur le globe, et puis, finalement, il atterrit à La Tuque, un lieu improbable, loin de tout, au Canada. Là, habite un ami de son père, Jean. C’est de lui qu’il attend, simplement, les mots qui l’aideront à poursuivre sa vie. Et c’est dans ce lieu qu’il affrontera, tel un Petit Poucet, l’inextricable forêt où il faut évidemment se perdre si l’on veut vraiment se trouver. Jean- Paul Dubois, tout à la fin du livre, écrit ces mots qui justifient son récit : » « J’ai terminé ce livre. Comme les précédents, il m’aura, pour un temps, rapproché des vivants et des morts. C’est dans l’ordre des choses simples. »
C’est là une affirmation toujours vraie. Une histoire sert bien à cela : rapprocher. Rapprocher les temps – passé, présent. Rapprocher les gens : ceux qui pensent, écrivent, lisent, vivent des vies si semblables et si différentes, tous, le temps du livre, dans le même bateau ivre, poussés par le même vent, vers l’horizon. Rapprocher la nature, les bêtes, les dieux, des hommes. Les grands, des petits. Ceux qui ont la lumière, qui voient, de ceux qui oeuvrent dans l’ombre, sourds, aveugles. Et par le détour d’un beau mensonge, faire parvenir chacun à sa vérité.
Les livres lus après celui-ci, participaient de la même envie : que la vie de cet autre, là, si étrange, si belle, si triste, qu’on me raconte, rejoigne par quelque secret chemin infiniment secret, la mienne. Non pour trouver des réponses aux questions que je me pose, mais pour me sentir heureuse d’avoir des compagnons de route. C’est ainsi que j’ai lu aussi ces quelques autres livres : » Tristesse de la terre » d’Eric Vuillard, » Le génie de la bêtise » de Grozdanovitch, « Hudson river » de Joyce Carol Oates, et « La porte » de Magda Szabo. Et puis, » le déjeuner de la nostalgie » d’Ann Tyler.