Puisque maintenant, donc, on dit « canicule ».
La première fois que j’ai entendu ce mot, il me semble que c’était en 1976. On habitait Paris, le ciel était depuis des semaines d’un bleu immuable, et mes enfants étaient cloués à la maison par la varicelle.
Je m’étais demandé alors pourquoi cette chaleur intense avait été baptisée comme ça : « canicule » un petit mot assez proche de « ridicule » alors que franchement y’a pas trop de quoi rire, à étouffer jour et nuit dans de petits appartements surexposés dont on doit fermer les volets presque toute la journée pour ne plus voir la lumière qu’à travers, en rayures.
Pour quiconque a fait du latin, dans canicule, il entend » canis », c’est à dire » chien », et l’on sait que le suffixe « ule » a une signification diminutive, voire péjorative. Or « un temps de chien », c’est au contraire, un temps salement froid et pluvieux. D’où vient donc cette petite chienne de « canicule » ? Eh bien, je l’apprends et vous le transmets, de l’étoile Sirius, appelée aussi « le chien d’Orion », étoile la plus brillante du ciel, à 8,6 années-lumière, un bail ! La canicule est un petit chien de lumière et de feu !
Quand j’étais enfant, on ne savait pas que c’était le petit chien, là-haut, qui brillait too much, et on ne s’étonnait pas qu’il fasse très chaud en été ; ça avait des inconvénients, pourtant. Comme on n’avait pas de frigo, fallait rien laisser traîner, sinon les mouches venaient joyeusement y plonger. Je me souviens du bal des mouches, en été, des rouleaux de papiers collants tue-mouches qui pendaient au plafond, sur lesquels, à la fin de la journée, nombre d’entre elles bzozotaient encore de leurs petites ailes froissées, des mouches noyées dans le lait sucré, (on n’a plus autant de mouches, à présent, les oiseaux s’en plaignent d’ailleurs, c’était leur bifteck, à eux, mais nous on s’en plaint moins, faut bien avouer.) Il faut dire qu’avec notre souci hygiénique tellement développé, elles n’ont plus grand chose à se mettre sous les mandibules, les mouches ! Je me souviens des aussi mouches collées sur les peaux de lapins écorchés, pendues dans la cave de mon arrière grand-père : les mouches finissaient de polir la peau, boulottant toute trace de chair. C’est grâce à elles que les peaux étaient vendues, bien propres, bien récurées, au marchand qui passait une ou deux fois l’an en braillant dans la rue : » peaux de lapins ! Peaux de lapins à vendre ? » ce qui fait qu’on l’appelait le marchand de peaux de lapins, évidemment.
Si c’était canicule, et qu’on était en vacances, les toilettes étaient souvent une cabane en bois gris au fond du jardin. Il fallait s’asseoir sur une planche en bois rondement trouée, la planche vous brûlait le derrière, parfois ; les mouches y menaient une danse infernale, vous aviez l’impression, faisant vos petits et gros besoins, de leur ouvrir un vaste restaurant ! Tout ça sentait très mauvais, alors on n’y traînait pas trop.
Par temps de canicule, qu’on n’appelait toujours pas comme ça, comme on n’avait pas de douche, on s’aspergeait le visage, on se lavait à l’eau bien froide. C’est ce que j’ai fait, ce matin, un stupide accident au pied me privant de douche. Et alors le souvenir m’est revenu de ces étés d’enfance où la douche n’existait pas, où l’on s’aspergeait le visage, le cou, la nuque, puis avec un gant enduit du savon de Marseille, ou d’une savonnette pour les dames, on se nettoyait, puis se rinçait par petits bouts, gardant le bas habillé quand on se lavait le haut, et le haut habillé quand on se lavait le bas pour éviter les regards en coin de la fratrie… On les appelait, » les toilettes de chat »… Elles étaient souvent faites dans la pénombre d’une chambre où l’on dormait à 3, voire 4 ou 5. et chacun veillait autant qu’il le pouvait à s’habiller et se déshabiller, et se laver petit bout par petit bout, avec un filet d’eau, par économie, et pudiquement pour ne gêner personne.
Cette chaleur, on l’appréciait à sa juste valeur, parce qu’elle venait comme un beau cadeau après les hivers rigoureux, où le chauffage n’était pas central, n’allait pas de soi, où l’on dormait souvent avec pull et chaussettes pour ne pas avoir froid.
L’hiver, j’avais posé mes pieds en grosses chaussettes de laine sur le bord de l’énorme cuisinière en fonte où l’on avait vidé le seau à charbon et qui rougeoyait joliment ; la chaleur remontait alors tout le long de mon corps, sauf mon nez qui restait désespérément froid. Maman disait d’un ton qui ne laissait aucune place à la contestation : – c’est bien ! Avoir le nez frais, est signe de bonne santé ! » Alors je ne me plaignais pas…
Pas de douche aujourd’hui, donc. Je me lave au lavabo, à l’ancienne. L’eau froide me pénètre la peau avec douceur, le frisson qu’elle provoque m’est très agréable, il m’émeut comme s’il était le premier vrai frisson que j’éprouve depuis longtemps, et je prolonge ma toilette de chat, m’y abandonnant plus que de raison, faisant longuement couler le filet d’eau au creux tendre des poignets, là où un amoureux- à l’ancienne ! – poserait un tendre baiser.
Et ce n’est pas seulement la femme de 70 ans tout neufs que réveille l’eau froide, mais la petite fille qui dormait tout au fond de mon corps, qui s’étire, voluptueusement, comme une belle au bois dormant et soupire : – Oh ! Comme j’ai dormi longtemps ! Quelle heure est-il à vos cadrans ? 70 ans ? Déjà ? Merde ! (Oui, si c’est moi, sûrement, elle dit ça ! ) Vous êtes sûrs ? Comme ça a passé vite, cette vie ! Eau froide, tu as bien fait de me réveiller !
J’ouvre le robinet, plus fort encore, l’eau éclate sur le blanc du lavabo, comme un rire, ou comme un bref sanglot.
Je ne sais pas si là haut, dans son habit de lumière et de feu, un petit chien rigole bien, mais ici, ce sont mes deux petits chatons qui montent sur le lavabo, accompagnant avec circonspection, ma toilette de chat.
Tout ce que tu décris me rappelle aussi mon enfance. J’habitais à la campagne, mais nous étions un peu privilégiés car nous étions dans une cité, mon père étant ingénieur, il avait droit à une maison tout confort !
Par contre, je me souviens très bien de la canicule de 1976, car elle a démarré… le jour de mon mariage !!! Beau souvenir
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Ce sont surtout des souvenirs des vacances d’été, chère Jacqueline, car dans notre appartement de HLM, nous jouissions de tout le confort moderne !
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Il n’y avait pas de salle de bains chez ma mamie, alors tes toilettes d’été ressemblaient un peu aux miennes ! Des bises, Majo !
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Jo, décidément tu n’as pas ta pareille pour décrocher du plafond des souvenirs ces grosses boules de nostalgie, on les émiette entre nos doigts comme ces boules coco roses ou violettes d’antan, on en a partout, on a remonté le temps.
C’est bien de rétropédaler un peu, pas toujours, pas tout le temps, mais ce sont aussi ces souvenirs là qui ont faits ce que nous sommes !
(« Canicule », pour moi, c’est aussi un gros bouquin, un polar, de Jean Vautrin, aux éditions Mazarine, à la couverture de champ de blé au soleil, dont on avait tiré un film)
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