Depuis deux ans, je n’ai plus de maman à fêter, ou alors seulement, comme je l’ai fait ce matin, d’un petit pot de fleurs d’une jolie couleur que je vais poser sur les gravillons de sa tombe, entre le chat de bronze et l’oiseau de porcelaine qui voisinaient en bon ménage dans le cœur vivant de maman.
J’ai eu la chance d’avoir une maman très longtemps, et n’ai donc aucune récrimination à envoyer vers les dieux et les cieux, seulement des remerciements. Mais cette année, bouleversée par des soucis d’âge et de santé, j’éprouve une terrible nostalgie à ne pas entendre la voix aimée, celle pour laquelle, même à 60 ans et beaucoup de poussières, je restais » la grande bichette », « ma chérie », aimée plus que je ne m’aimais moi-même.
J’entends encore, mais pour combien de temps, sa voix dans le coup de fil imaginaire que je lui donne aujourd’hui : – Allo maman ?
– Ah ! C’est toi ma chérie ! Je reconnais ta voix ! Je suis contente de t’entendre ! Comment ça va ?
– Oh ! Assez bien maman, un peu de fatigue, évidemment, mais bon, rien de grave…
– C’est parce que tu en fais trop ! Tu en as toujours trop fait ! C’est dans ton caractère, tu veux trop bien faire ! Mais tu vieillis… je vois tes cheveux gris… Tu devrais penser à toi, maintenant…
– Sûrement… Mais et toi, maman ? ça va là-haut !
– Bah oui ! C’est haut ! Tu parles d’un bond ! A notre âge, surtout ! Faut s’y faire, alors bon, je me repose, plus mal aux jambes, je dors bien, c’est calme, d’un tel calme… Au début, c’est déconcertant, évidemment, mais avec ton père on s’est trouvé un petit nuage douillet, ça va, c’est confortable. Mais on n’a pas faim, jamais, et ça nous fait tout drôle, ça, tu vois, nous qui avions si bon appétit ! On se nourrit de rien ici…
– D’amour et d’eau fraîche ?
– Peut-être, mais ce serait un amour un peu fade alors, qui n’a pas le goût de l’amour connu, ni celui de l’eau non plus… et tu vois, en plus, on s’en fout !
On a une belle vue, ça, là-dessus, rien à redire, beau paysage, couchers de soleil à gogo, mais nous manque l’émerveillement, la fête, et puis la Terre nous semble bien loin, je ne vous vois pas très bien… Je sais ! Tu vas me répéter que je n’avais qu’à me faire opérer de cette fichue cataracte ! Mais non ! Je te l’avais dit cent fois, c’était non ! Je voulais garder mes yeux de naissance, yeux marron yeux de cochon, je ne voulais pas qu’on me les trafique !
– Il y a des choses qui te manquent maman ?
– Et même ! Tu ne vas tout de même pas me les apporter au ciel, ma chérie ! Ce qui me manque ? Le bruit que l’on fait quand on vit ! Tous ces petits bruits auxquels on ne fait pas attention, qui nous gênent même : les cris, les rires, les pleurs des enfants, l’aboiement du chien, le miaulement des chats, le chant de l’oiseau, les bourdonnements de mouches, d’abeilles… les crissements de porte qui annoncent que quelqu’un sort, ou rentre, le bruit des pas sur le gravier, les ronflements de l’homme qui dort près de toi, le choc des casseroles, des assiettes, des verres, le bruit de la pluie sur le toit, le claquement du linge qui sèche au vent sur le fil… Ici, pas de bruit, ou si diffus… comme si on était dans de l’ouate… Pas de bruit isolé. Ils sont comme suspendus, en apesanteur… Ni d’odeur. ça me manque encore un peu, ça, l’odeur de mon frichti du midi…
Et puis tu sais, l’histoire de la pomme d’Eve, pipeau ! Pas d’arbre, et partant, pas de pommier, foi d’Evelyne ! ça aussi ça me manque, les arbres et ma pomme du soir, à croquer !
Et les baisers ! Oh ce que ça me manque, vos baisers ! le bruit joyeux de vos bisous sur ma joue, le goût de coquelicot des baisers de ton père… Ici, l’amour ne se mange pas, ne se boit pas, ne se voit pas, n’a pas de visage, ne fait ni rire ni danser ! Il est immense, invisible, sans corps, sans limite, épuré de tout geste et de toutes les batailles, sans désir, un désert aveuglant et qui brûle tout seul…
Mais ton père et moi, l’infini, on ne le regarde pas. On baisse les yeux, on essaie de passer un peu incognito, tu vois, on regarde plutôt en douce ce qui reste de nous, pas grand chose en vérité, mais on en a encore l’image d’avant, qu’on entretient comme on entretenait la maison et le jardin perdus si brutalement, et on se tient comme avant, par ce qui nous reste de main… On a beau dire, ma chérie, savoir que tout a une fin dans la vie, qu’on marche tous vers un temps sans changement d’heure ni de jour ni de nuit, c’est une chose, mais quand arrive le dernier coup de foudre, celui dont on ne se relèvera pas, le coup de frein brutal qui vous fait définitivement sortir de la route de la vie, et vous envoie dans cet ailleurs sans code postal et sans adresse, et bah… on fait moins les malins !
Au fait, comment as-tu fait pour nous retrouver ?
– – – Je ne sais pas, maman… C’était la fête des mères, alors je suis venue jusqu’ici avec cette petite fleur rose, dans son petit pot de terre, c’était pas grand chose, juste un prétexte pour venir te parler, et à papa, quelques mots, tout bas, c’est tout… Tu sais, je crois que c’est plutôt vous qui me retrouvez, parfois… votre voix me parvient alors sans tambour ni trompette, file ma rêverie, en douceur, comme par magie.
– T’as toujours été une rêveuse, toi… Allez, rentre chez toi, va retrouver les vivants maintenant, marche, respire, ris et souris, tiens-toi droite et sur la pointe des pieds comme la petite danseuse qui tourne sur sa musique intérieure et sans jamais s’arrêter. Embrasse tout le monde pour nous, ne pleure pas, et n’oublie pas de dire merci, merci, merci…
A L’OISEAU – LYRE

Samedi 25 mai, aura lieu le Salon du livre-jeunesse, à la médiathèque de Rueil- Malmaison, où j’habite. Je fais partie des auteurs invités, chaque année, depuis sa création, depuis toujours, c’est en général un joli moment de rencontres, joyeux, chaleureux. Il peut avoir lieu grâce au travail extraordinaire des libraires, et
ceci est une ode reconnaissante à la librairie qui m’est le plus chère, née en même temps que mes premiers écrits publiés.
Elle est située à Rueil-Malmaison, ville où j’habite, et s’appelle » L’Oiseau-Lyre », comme dans le poème » Page d’écriture » de Jacques Prévert, oiseau descendu du ciel bleu et que les tous les enfants qui s’ennuient appellent de leurs vœux, afin que » s’écroulent tranquillement » les murs qui les enfermaient loin des falaises, des mers, des arbres, du ciel où se promènent les nuages et les oiseaux.
D’abord située rue Jean Le Coz – nom d’un héroïque sauveteur qui plongea plusieurs fois dans la fournaise du terrible incendie du cinéma de Rueil pour tenter de sauver le maximum de personnes et y perdit la vie – la petite librairie de l’époque fut créée par Marie- Odile Garrigues, pionnière en la matière car à l’époque, créer une librairie-jeunesse était un véritable acte militant. Mais bon, ça l’est encore, la plupart du temps…
Elle fut très vite rejointe par la libraire actuelle, Chantal Malamoud, et, pour s’agrandir, elles emménagèrent, il y a tout juste 30 ans déjà, sur les lieux actuels, au 7 rue Hervet, la rue principale entre l’église et le marché.
Il y a deux belles vitrines, et au centre, une porte, qui donne sur une petite cour pavée, une sorte d’escalier-échelle en bois, un hortensia, et, au fond de la cour ombragée, qui reste bien fraîche en été, la librairie et tous ses trésors à découvrir, à regarder, à feuilleter, à choisir, à offrir, à lire.
En trente ans de présence, combien d’adultes et d’enfants s’y sont succédés, trouvés, rencontrés ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que maintenant les petits sont devenus grands et y amènent leurs propres enfants, voire, comme moi, leurs petits enfants, et que grâce à eux, ni la librairie ni la libraire ne vieillissent vraiment.
Quand j’ai commencé à publier, elles ont vendu, avec enthousiasme, mon premier livre, « Le moulin à parole » et puis tous ceux qui ont suivi. Elles m’ont confié « la maison », le lundi après 4heures et demi, pour que je prenne en ateliers de lecture et d’écriture, chaque semaine de petits groupes d’enfants, curieux, et n’acceptant pas plus que l’élève de Prévert que deux et deux fassent forcément quatre, et même, dans leurs récits farfelus, prouvant joyeusement le contraire ! Cet espace était idéal pour cela, des murs vibrants, de papier et de mots, une pluie de lettres au-dessus de nos têtes !
Le temps passant, certaines années furent plus difficiles, sans doute, pour mon amie libraire, car il fallait bien parfois que huit et huit fassent seize malgré tout, afin que perdure ce nid d’oiseau bleu. Et, d’autres espaces s’ouvrant, dans le même but que le sien, beaux également, et apportant eux aussi, pour petits et grands, rêves d’aventure et poésie, si, tout de même, seize et seize pouvaient tantôt faire trente deux, ça serait encore mieux !
La librairie a duré sans vieillir, accueillant les jeunes auteurs, les nouveaux illustrateurs, ceux qui ont une réputation bien établie, et puis les autres, à découvrir, dont le talent interroge, ne fait pas l’unanimité, provoque, qu’il faudra montrer, expliquer, recommander. Ces auteurs, plus rares, savent ce qu’ils doivent à de telles personnes, de tels endroits…
Mais ce que je vois, à chaque fois que je me rends chez mon amie libraire, c’est que ceux qui débarquent là, aujourd’hui comme hier, petits ou grands, écarquillent les yeux, et « s’en mettent plein les mirettes ! » comme disait ma petite maman. Ils s’apprêtent à recevoir chez eux de nouveaux amis qui ne les jugeront pas, ne les trahiront jamais, et qu’ils n’oublieront plus de toute leur vie.
Et quand, sur les étagères, les boîtes à musique font entendre leur ritournelle, au-delà de ce qu’on entend, si l’on prête l’oreille sans craindre qu’on ne vous la rende pas ! on distingue le chant d’un oiseau, bleu comme le temps qui passe, qui passe, qui passe…
LE CONCOURS DE NOUVELLE
Le concours de nouvelles
est le titre de mon nouveau roman paru chez Magnard Jeunesse.
L’illustration de la couverture, vive et parlante, est due à Amandine Laprun.
Ce roman, à la première personne, raconte un moment de vie dans l’adolescence d’Orane, une jeune fille dont les parents tiennent un petit hôtel, dans la campagne.
Elle va au collège de la ville voisine, où elle a peu d’amis.
Un jour, elle décide de participer à un concours d’écriture, dont la récompense est la parution de la nouvelle primée, et 300€, somme qu’elle n’a jamais eu en poche.
Le concours demande que le texte raconte quelque chose de personnel.
Il lui est récemment arrivé quelque chose qui l’a blessée, une amitié qui s’est très mal terminée. Elle décide de raconter cela. Mais ce n’est pas facile, loin de là.
Y parviendra-t-elle ?
Une rencontre avec un drôle d’oiseau, comme elle, l’y aidera peut-être.
J’ai écrit cette histoire parce qu’elle offre de multiples aspects. On y parle de la vie, de l’amitié, de ce que c’est que grandir, de la différence entre avoir des rêves et des projets, de l’écriture, de ce qu’on peut raconter ou pas, et de comment on raconte quand on parle de soi, toutes questions qui se posent immédiatement dès qu’on penche vers un récit autobiographique. Et à quoi ça sert, si cela doit servir…
Il s’adresse aux collégiens, collégiennes, à partir d’onze, douze ans et jusqu’à bien plus tard, à tous ceux et celles que les processus d’écriture intéressent, aux enseignants qui souhaiteraient que leurs élèves écrivent une nouvelle, et d’ailleurs, les éditions Magnard organiseront, à partir de mon livre, un concours de nouvelles auquel on espère que vous serez très nombreux à participer, et que je superviserai.
Et puis aussi, il dit que ce n’est pas parce qu’on est issu d’un milieu très éloigné de la littérature, et qu’on habite bien loin des villes, de leurs bibliothèques, du Savoir, des beaux quartiers où logent les gens aisés et cultivés, qu’on ne peut pas devenir écrivain.
Cette vie, d’apparence pauvre et banale, à l’écart, est aussi riche de choses à dire, de sentiments à partager, aussi digne que toute autre de devenir, sous des doigts avisés, un beau roman !
J’aimerais qu’après cette lecture, plus personne n’en doute.
Il est dédicacé à une jeune femme que j’ai connue enfant, lors de visites dans les classes comme j’en fais depuis 30 ans, elle habitait un tout petit village à la campagne, et comme Orane, elle aimait les livres, les mots, ils l’ont portée, transportée, et à son tour, maintenant, et de toute sa belle énergie, elle invite chacun, aux quatre coins de France, à ne pas avoir peur d’aller plus loin que le bout du jardin, le bout du village, de prendre un livre et de partir, confiants dans les rencontres qu’ils feront sur leur chemin.