Lydie marche jusqu’au soir

J’ai lu et relu  » marcher jusqu’au soir » de Lydie Salvayre, un livre que m’a offert, à mon dernier anniversaire,  une amie d’enfance qui est devenue, au fil du temps, une amie tout court et pour toujours.
Et je souhaite parler de ce texte parce que je l’ai plus qu’aimé. Vous le savez bien, vous aussi, il y a parfois un livre qui vous touche, qui vous trouble, qui vous trouve tout autant que vous l’avez trouvé.  » Marcher jusqu’au soir », de Lydie Salvayre que j’ai simplement envie, aujourd’hui, d’appeler Lydie même si je ne la connais pas, étant sûre que si elle le savait, elle ne s’en offusquerait pas, ce livre-là, donc, à la belle couverture noire criblée d’étoiles, constellations toutes proches cette fois, fera partie des quelques livres que je n’oublierai pas, moi si oublieuse, désormais.
Lydie avait été encensée à La Grande Librairie ( je mets des majuscules partout pour montrer le respect ! ) et ce qu’elle avait dit de son livre, et la façon surtout dont elle avait parlé, toute en nuances et simplement pourtant, à la fois proche mais souhaitant, néanmoins, partager autre chose que des lieux communs, m’avait donné envie de la lire, elle, et son expérience ici relatée.

Au départ, c’est cela : elle est enfermée au musée Picasso, toute une nuit, où elle peut, à loisir, admirer des œuvres qu’elle aime, et celle qu’elle préfère par dessus tout c’est une sculpture :  » L’homme qui marche » d’Alberto Giacometti, sculpteur des années 30, ami des poètes de l’époque.
Au début, elle ne veut pas y aller, elle s’en fait une montagne, elle n’aime pas trop les musées, et elle trouve mille bonnes raisons de ne pas les aimer : dont l’une surtout, tient à ce que l’art exposé à l’admiration et à la déférence du public semble regarder de haut les visiteurs issus de milieu modeste et qui, comme dans une sorte d’église, se font tout petits devant les œuvres à révérer.
Finalement, elle s’y rend, et là, du lit de camps inconfortable mis à sa disposition pour la nuit, elle regarde, elle explore, elle réfléchit dans tous les sens du terme, transitif et intransitif. Elle chemine en elle-même, fait des aller -retours de son enfance maltraitée par son père, à ses difficultés, à l’âge adulte, de se sentir appréciée à sa juste et belle valeur dont d’ailleurs, même courtisée et Goncourtisée, elle -même hésite à se revêtir, comme Peau d’Ane de sa robe de princesse.

A la fois, elle aime  » l’homme qui marche », et il lui demeure étrangement étranger. Pourquoi marche-t-il ainsi, vers où, incliné, tête modestement baissée, son corps squelettique prenant déjà si peu de place sur terre ?
Etre là, enfermée avec lui, donne à Lydie une seule envie, fuir, s’enfuir, s’échapper ! L’angoisse ressentie est trop grande. Alors elle vocifère, s’engueule, et houspille mentalement tous, y compris Bernard, son compagnon, qui a eu le malheur de lui passer un coup de fil et de lui demander seulement : – ça va ?
ce qui provoque sa fureur.
Et le mélange des langues et des genres rend son texte unique, comique, loufoque ! On la devine, on la voit ! s’agitant, comme une actrice de théâtre sur la scène, devant un auditoire absent qu’elle engueule quand même : encore une fois que fait- elle là ? Encore une fois elle ne se sent pas à sa place !

Ressortie de ce piège à c…, elle se dit que plus jamais elle ne renouvellera une expérience pareille : résultat nul de nul puissance 13 !
Elle conclue que ce qui l’a tellement effrayée, peut-être, est de s’être rendue compte qu’in fine, sans doute, cet homme, comme chacun de nous, marchait vers sa mort, inéluctable et certaine, la tête baissée, absent déjà, vaincu d’avance, et pire que tout, consentant à l’être.
Alors qu’elle, malade,  et tous, même mieux portants, luttons si fort toute notre vie pour trouver notre place sur terre, y marquer notre présence, et rester en vie.

Exceptionnel pourtant, la modestie est au coeur de ce texte. Et la conclusion de Lydie, sera que l’art dans la vie, quel qu’il soit,  joue finalement, lui aussi, un rôle à la fois modeste et essentiel, ne nous épargnant rien, mais nous accompagnant au fil du temps.

J’ai souvent, au cours de cette lecture qui m’a profondément touchée, où je me suis si souvent reconnue, corné une page, souligné quelques petits bouts de phrases, un mot ici ou là, de sorte que le livre fini, comme dans le conte du Petit poucet, je peux retrouver ces cailloux de mots et me refaire toute l’histoire, suivre dans leur promenade L’homme qui marche et Lydie qui lui tourne tout autour comme la mouche du coche.
Peut-être, plus respectueux, mieux éduqués, ou jouissant d’une bien meilleure mémoire que moi, ne commettrez vous pas ces petites égratignures à votre ouvrage, mais sûrement, vous en mourrez d’envie tant il  renferme de pépites, de petites étoiles qui, comme sur la couverture noire, forment à la fin, devant nos yeux et en notre cœur, belle galaxie.

Plus personnellement, je dois avouer que jusqu’à l’âge de 20 ans, au moins, habitant la campagne et dans une famille qui n’en aurait jamais eu l’idée, je n’avais jamais mis les pieds dans un musée. D’art et de peintures, je ne connaissais que celles que peignaient maman, le jour de congé. Jamais, elle non plus, n’avait mis un pied dans un musée et d’ailleurs, elle s’énorgueillissait d’avoir appris toute seule, et sur le tas, d‘inventer ! Je la revois, toute contente, le pinceau à la main comme une vraie artiste ! assise sur son tabouret pliant, tandis que papa taquinait le brochet dans la rivière et que mon frère, ma sœur et moi on se poursuivait dans le pré à vaches, slalomant entre les bouses qui séchaient au soleil. A la fin de la journée, brochet pris ou non à l’hameçon, on rentrait à la maison, et maman nous montrait SON OEUVRE qu’on admirait inconditionnellement. Papa, ensuite, les petits clous dans la bouche, ce qu’on n’avait pas le droit de faire et qu’on admirait tout autant que le tableau de maman ! lui fabriquait un cadre de bois parfait !
Et puis, en grandissant, j’ai eu accès aux reproductions qui parsemaient le Lagarde et Michard, et je les regardais bien, toutes ; elles m’aidaient à me représenter ce dont on parlait dans les textes que j’étudiais avec passion, les costumes, les meubles, les paysages, les mœurs qui m’étaient contées. J’en affectionnais particulièrement certaines dont la lumière, surtout à la bougie, ou au clair de lune, m’impressionnait.
Et je dois dire que, beaucoup plus tard, quand j’ai eu accès à certains originaux de ces tableaux admirés en vignettes dans l’enfance, j’ai été drôlement déçue. Toujours, j’en préférais l’ancienne toute petite image dans mon livre de classe, plus modeste et à ma taille finalement, autour de laquelle j’avais imaginé tellement plus que là, adulte au musée….
En cela, que j’avoue aujourd’hui, je me sens très proche de Lydie, comme d’une amie.

Voilà, c’est tout !
Me reste juste à dire un mot à Lydie Salvayre : merci.

Ah si, un petit truc encore : à regarder, dans les livres ! cet Homme qui marche, et dont on ne sait rien, je me dis : – si ça se trouve, ce type-là, penché vers l’avant, le corps étroit, l’air absent, fermé, ne faisait que marcher sous la pluie ! Rentrer chez lui après un petit verre pris au bar du bout de la rue ! Et voilà qu’en sortant, vlan ! tombe un petit crachin genre breton, persistant, qui le pénètre jusqu’aux os, lui fait presser le pas pour rentrer au plus vite sans se faire trop mouiller ! Rentrer au chaud, et enfin replier les longues jambes, fermer les yeux, se reposer…
Quand je vous disais qu’une image dans un livre vous en raconte bien davantage qu’accrochée là haut, sur un mur ?

J’aime Elisabeth Strout

J’ai lu plusieurs livres, cette année, d’Elisabeth Strout :
Olive Kitteridge
Amy et Isabelle,
Je m’appelle Lucy Barton.

J’ai vu qu’un autre roman venait de paraître, dont le titre français est : « Tout est possible », titre magnifique s’il en est.
Je les ai tous aimés, ces livres, beaucoup.
Ils me semblent écrits à voix nue et désarmée, comme je le tente moi-même, à ma petite échelle de corde, et de mots.
Les récits racontent si peu de chose, en vérité, presque rien n’est dit, que d’infime, on dirait  » ce sont des détails ». Les héros n’en sont pas, seulement des gens ordinaires menant tant bien que mal des vies sans grand relief, comme en mènent sans doute les lecteurs qui, comme vous et moi, tomberont amoureux des livres d’Elisabeth Strout.
A quoi cela tient-il ?
A sa sensibilité vraie, je pense. Elle ne cherche à impressionner personne, pas même elle ; sa bienveillance va vers chacun, de ses personnages à son lecteur, qu’elle ne perd jamais dans de fumeux méandres, et c’est comme une conversation sur un banc, une rencontre fortuite qu’on aurait faite, comme ça, dans un jardin public, et une dame, posée là par hasard à côté de vous, vous parlerait de sa famille, de la petite ville où elle habite, du lieu où elle est née, parce que vous lui auriez posé une question ou deux, comme ça, pour parler un peu, rompre la solitude.

« Je m’appelle Lucy Barton » ( qui sortira en poche fin août) est cela aussi : une longue conversation entre une fille, malade et hospitalisée, on ne sait pas grand chose de sa maladie, mais elle dure un peu trop longtemps, et puis sa mère débarquée là, à la grande surprise de sa fille, puisqu’apparemment cela fait des lustres qu’elles ne se sont pas vues.

La mère vient de loin,  » du trou du cul du monde » aurait dit ma mémé, de plus loin que ne le disent même les kilomètres, c’est comme si elle débarquait d’une autre planète pour ainsi dire. Mais elle est là, attentive à sa fille à sa façon, ne dormant jamais pour être plus présente qu’elle ne l’a jamais été. Et telle Shéérazade, au fil des heures, elles égrènent les maigres souvenirs communs, des sortes de lambeaux de sous évènements : ce qu’est devenue la fille machin, qui a fait cela, déjà ? Et te souviens tu du jour où ?
Et ainsi, elles renouent entre elles deux, à l’aide de fils si minces qu’un simple souffle de vent, un claquement de porte pourrait les rompre.
De temps à autre, le médecin passe, bienveillant envers sa jeune patiente, là encore, à quoi tient ce sentiment de bienveillance ?
« Il me pose la main sur le front comme pour vérifier si j’avais de la fièvre… »
Presque rien, la fraîcheur d’une main pour rien puisque tous deux savent qu’elle n’a pas de fièvre.
Il effleure un bleu, qu’elle a sur la cuisse, ne pose pas de question, mais il est bien entendu qu’il l’a vu.

Une sorte de voile de regrets plane sur leur histoire à toutes les deux, la mère et la fille, mais c’est un voile sous lequel elles se retrouvent, dans lequel elles s’enveloppent. Elles se posent des questions, l’une à l’autre, non pour en entendre les réponses, mais seulement parce que la voix reste en l’air, les mots sont suspendus, comme de légers ballons qu’elles regardent voler.
C’est comme on fait avec les enfants, vous savez, quand ils se font mal, et qu’on essaie de les distraire de ce qui les a blessés en leur racontant autre chose… tandis qu’on les soigne comme on peut, avec les moyens du bord…
Il me semble que c’est toujours comme cela dans les histoires d’Elisabeth Strout . Tout le monde veut bien faire, mais chacun est démuni.

Tout d’un coup, me saute aux yeux ce beau mot de  » démuni », et je m’aperçois, que sans doute, à l’origine, cela signifie  » sans fonction », voire même  » sans don » ( préfixe « de », qui enlève, et « munus » la charge) Et alors je me dis qu’Elisabeth Strout met sa fonction, son don d’écrivain au service de ceux qui n’en ont que peu, voire pas.

Se charge de leur vie.

Et elle le fait simplement, sincèrement, et de tout son cœur mais sans chichi, sans blabla, et d’ailleurs, dans ce beau livre de « Lucy Barton, » à un moment, elle décrit un peu un atelier d’écriture où l’héroïne s’est rendue, non parce que cet auteur était son écrivain préféré  mais parce qu’elle l’avait croisée, dans un magasin, un motif apparemment futile, stupide. Et une pimbêche de psy, qui est aussi venue écrire à cet atelier lance une remarque intrusive, alors l’auteur la mouche :  » Je n’aime pas ceux qui se servent de leur métier, leur position, pour rabaisser les autres…Eh bien, ce sont de pauvres merdes ! »

Bravo ! Pas mieux !

Dans les histoires d’Elisabeth Strout  il n’y a pas beaucoup de personnages, mais de belles personnes, qui passent, comme passe la vie.
Une petite phrase revient souvent, dans ses pages, si modeste : C’est :  » pour ce que j’en sais… »
Et ce n’est pas du j’men foutisme, non, tout au contraire, ça demande pardon, à l’avance, d’ignorer tant du monde, de tout et de tous, même quand on est écrivain et qu’on a cette présomption dingue : faire parler les autres sans parler à leur place…

Oui, juste ça : être au service de…