Peut-être, contrairement à moi, connaissez-vous déjà ce récit de Manuel Vilas, écrivain espagnol qui vient de publier un second livre, » Alegria », une sorte de suite à « Ordesa » que la critique semble tout autant encenser que le premier cité.
J’aime par-dessus tout, je l’ai déjà dit, les histoires de vies ordinaires que l’écriture porte. Je dis » porte » à dessein, car il ne s’agit ni de transformer, romantiser, transfigurer, seulement oui, porter, soutenir pour que cette maison-vie qu’on a habitée ne s’effondre pas en ruines. La porter, et nous l’apporter, miniaturisée entre les pages qu’on tourne, délicatement car les murs en sont fragiles.
Manuel Vilas porte les siens au creux de ses bras, les endroits où la vie a été vécue, les choses qui ont servi à vivre la vie qui a été vécue. La vérité de chacun sous les mots, sous les déguisements, sous les masques de la comédie que chacun joue et qu’il appelle sa vie.
Nous habitons un monde, un pays, une ville, un appartement ou une maison, une pièce, un endroit plus particulièrement, nous habitons une histoire commencée bien avant nous, qui ne se terminera pas avec la fin de notre vie, nous habitons le corps et le coeur de ceux que nous aimons, nous habitons nos pensées et nos rêves, notre désir, nos peines. Et nous voyageons dans le temps avec tout ce barda ! parfois légèrement, parfois pesamment, à l’aide de certains carburants quand nous n’en pouvons plus.
Manuel Vilas parle de tout dans » Ordesa », pas seulement de ses parents, bien qu’ils en soient les merveilleux fantômes à retrouver pour revivre, dans ce mémorial de pages, la beauté des jours enfuis.
A les évoquer, dans cette recherche des temps perdus et retrouvés, il n’éprouve ni bonheur, ni consolation, des regrets, une sorte de crainte, aussi, de se tromper, ce qui serait les tromper. Il passe dun court chapitre d’une page ou deux à l’autre, une image en évoquant une autre, un endroit présent le ramenant à un endroit passé ou l’inverse, chaque entrée de chapitre est une porte entr’ouverte qu’il pousse, le coeur souvent chaviré par les souvenirs qui tombent comme des livres dérangés sur les étagères de la mémoire.
Ses souvenirs intimes sont aussi ceux de milliers d’autres espagnols de son âge, ses archives, leurs archives, le soleil et la lumière qui éclairèrent ses jours, les nuits qui assombrirent sa vie, éclairèrent et assombrirent toutes les vies, dès lors, sa famille devient forcément un peu la nôtre, si tant est que nous ayons été, comme lui, ni très pauvre ni riche, que nous ayons eu, comme lui, des parents qui s’aimaient et nous aimaient, que nous ayons vécu à peu près à la même époque, soyons partis en vacances en voiture vers le lieu promis du bonheur qui pourrait, pourquoi pas, s’appeler Ordesa…
Tout est simplement dit, écrit, raconté, en phrases brèves, un peu comme on parle de tout et de rien chez le coiffeur, ou au petit déjeuner avec la famille où chacun apparaît à son tour, décoiffé, étonné, blagueur, décalé, et que le monde qui s’est éteint pendant la nuit renaît autour de la table, du pain, et du café versé dans la tasse de chacun, trop chaud, ou pas assez, et passe-moi une tartine s’il te plaît, il y a une guêpe dans la confiture, le chauffe -eau marche mal, et pourquoi vous avez mouillé toutes les serviettes ?
Et sinon, qu’est-ce que penserait Maria Callas de la situation actuelle ? Qu’en disait Bach, déjà ? Est-ce que vous saviez que Verdi était le roi des cannellonis ?
Mais quand, enfin, passeront les enfants, Brahms et Vivaldi ?
Je vous laisse sur cette merveilleuse fantaisie de l’écrivain qui a rebaptisé tout un chacun du nom d’un musicien dont les airs s’accordent bien à la personne évoquée. La musique parlant directement le langage du coeur, nous ne pouvons alors qu’entrer dans sa famille, dans sa maison, dans son pays et aimer ceux qu’il a aimés.
Merci Jo de m’avoir fait decouvrir ce talent par ta plume magnifique quel moment de beauté !! Jacqueline Envoyé depuis mon appareil Galaxy
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