La chandelle


Qui connaît encore ce jeu de La Chandelle ? ( Quel joli nom, ce doux féminin, et comme il sonne bien !)
Le jeu consiste en une ronde assise où chacun regarde vers le centre tandis qu’un promeneur, une promeneuse, fait le tour extérieur un mouchoir à la main, le déposant derrière la personne de son choix. Celle-ci doit s’en apercevoir très vite, avant que, n’ayant refait un tour, le promeneur soit de retour derrière elle. Si elle s’en aperçoit, elle lui court après, doit le rattraper avant qu’il ne prenne sa place dans le cercle, sinon, elle devient  » La chandelle » prisonnière, se met au centre du cercle, doit attendre la prochaine captive qui la délivrera.
Dans le jeu, être la chandelle est vécu comme un échec. On n’a pas été assez rapide, assez vigilant, on a perdu. Et comme on doit aller se mettre au centre du cercle, notre échec est exposé à tous les regards. Seul l’échec d’un autre nous délivrera. Ou qu’on ait pitié de nous, qu’on nous jette, à nouveau, le fabuleux mouchoir, vital !

Pourquoi ce jeu s’appelle -t-il ainsi ?
On comprend l’expression  » le jeu en vaut-il la chandelle ? » Une chandelle coûtait cher, brûlait toujours trop vite, on n’allait sûrement pas l’user pour des clopinettes !
Mais comment cette expression a-t-elle abouti à ce jeu-là, sous cette forme – là ? ça, je ne sais pas.
Est-ce parce que la chandelle brûle et se consume, toute seule, inutile, au milieu ?

En tout cas, il y a peu, j’ai rêvé de ce jeu.
J’attendais le mouchoir. Pour courir tout autour du cercle, et choisir de le déposer ici ou là, derrière celui-ci ou celui-là. J’avais les jambes impatientes, je souriais, prête.
Mais personne ne me choisissait jamais.
Comme si j’étais invisible. Ou chandelle définitive, quoiqu’excentrée. Chandelle éteinte en somme.
Je continuais de sourire, que personne ne s’en aperçoive surtout….

Ce rêve, je vois d’où il vient. A un ami qui, à cause de ce sale virus, a tragiquement perdu sa mère et son frère cadet, j’ai écrit le désarroi à réaliser comme la vie brûle si vite…  » comme une chandelle », ajoutant :  » espérons seulement que nous aurons parfois un peu éclairé… »

Cette image s’est fixée en moi, m’a habitée depuis, je l’ai sentie vraie…
Si l’on cessait, alors, d’avoir d’autres projets que celui-là : éclairer un peu…
C’est infiniment modeste et en même temps, infiniment difficile…
Une vie pas si mal réussie serait alors celle qui a fait naître quelques étoiles dans les yeux où l’espérance n’était plus, quelques vrais sourires sur des visages perdus, qui a chassé parfois le voile d’ombre d’un regard fatigué, attristé, ou le nuage posé sur un coeur trop lourd.
Une vie qui, au milieu des orages, a négligé ce gros balourd de tonnerre et s’est plutôt saisi de l’éclair…

Comme répondant miraculeusement à ces pensées et à ce voeu, quelques courriers me sont justement parvenus !
D’enfants, m’écrivant comme ils avaient aimé telle histoire, qui les avait fait rire, oublier  » le confinement et le virus ! « 
Qui les portait à vouloir faire « écrivain » comme moi !
D’adultes, que j’avais un peu connus quand ils étaient enfants, souhaitant se rappeler à moi, me remercier de tout coeur pour ce qui leur avait été alors donné, partagé, qui les avait émus, cette petite flamme qu’ils voulaient transmettre maintenant à leurs enfants dont ils m’envoyaient les photos ; l’un de mes livres anciens – ou récent- était entre ces petites mains, leur jeune visage semblait merveilleusement absorbé par l’histoire – même si l’honnêteté m’oblige à dire que l’éclairage venait plutôt de la jolie lampe posée tout à côté, ou du soleil printanier qui s’était joyeusement invité !
Et même, un livre, LE LIVRE ! d’une ancienne petite fille rencontrée au milieu de la campagne, dont le regard autrefois étincela de mille diamants à ma venue qu’elle désirait tellement, qui poursuivit cette rencontre par quelques années d’échange de courriers, disparut de ma vie pour traverser ses propres forêts, crocheter la sorcière, apprivoiser les monstres et devenir cette femme -là, ardente et vive, qui a fourbi ses mots comme de douces armes.

La vie, oui, brûle très vite, comme une chandelle.
Mais nous avons cette chance magnifique, nous, artistes des images et des mots, de pouvoir quelquefois, si les enfants nous choisissent, transformer cette chandelle en flambeau.
Et quelquefois, éclairer.
Et ces courriers me rassurent.
Chandelle, j’ai été souvent choisie.
Et je pourrai continuer à courir tant que le souffle du vent, miséricordieux, me fera seulement vaciller.

Une réflexion sur “La chandelle

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