Pardon pour les accents qui manquent sur le nom de cette auteur, et que je ne sais comment obtenir sur mon clavier ; un petit v au-dessus du s et un accent aigu au-dessus du c !
Dubravka Ugresic est croate ( l’on me signale en quatrième de couverture qu’elle y est un écrivain majeur ! ) mais je n’avais ni entendu par ni rien lu d’elle. Ce livre en fut une belle occasion et je l’ai beaucoup aimé.
« Le Musée des redditions sans conditions » est aussi une histoire d’exil – comme » Les déracinés » dans mon article précédent. Il faut croire que mon petit exil volontaire estival en Charentes maritimes m’a inspiré l’envie de lire des récits d’exils plus radicaux, plus nostalgiques… A qui et à quoi avais-je, en fait, envie de dire adieu, c’est une autre histoire…
Dans ce livre très hétéroclite ( on s’y perd un peu mais ce n’est ni grave ni désagréable ) on passe d’une époque à l’autre, d’une femme à une autre – la mère et la fille- de Zagreb à Berlin en passant par Belgrade. On traverse plusieurs époques et toute l’ex Yougoslavie. Comme si on ouvrait et refermait sans cesse des valises, vrais départs, errances, détours, faux retours, souvenirs emmêlés. On perd la notion du temps qui passe, les liens se font et se défont, le souvenir se perd, se retrouve, on s’interpelle en une langue, en une autre, une montagne d’anecdotes, de souvenirs et on ne fait pas le tri. Il faut tout sauver.
C’est aussi un texte sur la force des femmes, sur leur désir toujours insatisfait de trouver le bon chemin, le meilleur chemin qui va de ceux qu’on aime à soi, et vice versa. Ce sont les fils secrets qui relient mères et filles, amies, qui les FONT mères et filles, amies, et le temps passant, la mémoire élastique de ce qui les relia ( livres, films, maisons, repas, visites, promenades, amours, tous ces passages qui sont aussi des frontières ).
C’est un livre de bric et de broc, souvent très drôle, inventif dans sa forme comme dans son contenu que l’auteur compare d’ailleurs à ce qu’en 1961, on trouva dans le ventre de Roland ! L’éléphant de mer du zoo de Berlin qui venait de mourir, et donc l’estomac était un vrai inventaire à la Prévert !
Malgré son caractère protéiforme, le texte sonne toujours juste et il est donc remarquablement traduit.
Et puis, j’ai aimé qu’au coeur de ce vertige provoqué par la longue chute dans le temps qui passe, on se raccroche à la tendresse et à la compassion qui l’accompagnent : tendresse et compassion pour ceux qui aiment, ceux qui ne sont pas aimés, la jeunesse, la vieillesse, ceux qui se sentent seuls, ceux que leurs souvenirs attristent, ceux qui pensent trop, ceux qui ont peur, ceux qui lâchent tout…
On est tous des exilés, des rescapés, on cherche tous la veilleuse, la merveilleuse petite lumière d’espoir dans le noir.
C’est un livre où les regrets vous tombent dessus tout doucement, comme tomberait, à l’automne, une tardive et douce pluie de printemps.
LES DERACINES par Catherine Bardon
J’ai beaucoup lu, ces derniers mois, mais peu écrit sur ces lectures. Je vais essayer de rattraper un peu ce retard pour ceux que mes choix et ce que je peux en dire intéressent.
Un de ces livres » Les déracinés » écrit par Catherine Bardon, devrait plaire à un grand nombre d’entre vous. Il est paru en format poche … et plus de 750 pages ! Mais pas d’affolement : on le lit comme un feuilleton, le début d’une saga, on tourne les pages sans s’arrêter, on ne peut quitter ces personnages attachants, ni leur histoire si romanesque.
Je ne le savais pas, mais un premier kibboutz est né en République Dominicaine, en 1940 ! Peuplé d’émigrants juifs allemands, autrichiens, tombés là par hasard après un long et périlleux voyage, et s’être faits refouler par les Etats Unis où ils désiraient se réfugier, loin de la terrifiante barbarie nazie qui régnait dans leur pays d’origine. C’était une destination par défaut, mais ils y furent généreusement accueillis, et ces pionniers tombèrent rapidement amoureux de ce magnifique pays tropical, luxuriant, hédoniste et gai. ILs s’ installèrent dans un endroit dénommé Sosùa et tous ensemble, courageusement rebâtirent leurs vies sur ce nouveau rivage, et sans jamais oublier leurs racines, sur ce nouveau continent, surmontèrent la tourmente dans laquelle l’Histoire les avait entraînés, et construisirent énergiquement la suite de leur histoire, apaisée.
L’auteur, Catherine Bardon, se dit amoureuse de la république dominicaine qu’elle a beaucoup parcourue en voyageuse et photographe. Ce livre est à la fois un roman et un récit très inspiré de personnes et faits réels, et bien sûr, des sombres évènements historiques de cette époque. Elle en donne à la fin, un sommaire très précis. Les personnages, inventés, sont généreux et nous emmènent avec eux comme des compagnons de route ; ils sont sympathiques, pleins d’élan, nous font partager leurs difficultés d’intellectuels à devenir constructeurs et paysans, mais aussi ce qu’il y a d’exaltant à tout repartir de zéro, à tout recommencer – comme l’espéraient de tout coeur et de toute leur âme, ceux qu’ils ont dû laisser agoniser dans la tourmente européenne.
On y suit surtout la vie d’un jeune couple, celui formé par Almah et Wilhem, sur un bonne moitié du livre, ils sont encore à Vienne, cette ville éclatante d’art et de culture où ils adorent vivre, d’abord heureux, amoureux, jeunes mariés d’un milieu très favorisé, et puis le temps y devient affreusement lourd, oppressant, mortifère, ils ne s’y résignent pas, s’y débattent, jusqu’à l’inévitable rupture et la fuite. On les suit dans leur interminable voyage, on partage leur immense fatigue, leur affreux chagrin, et puis, bientôt, la nouvelle énergie, sublime, qui naît de ce nouveau pays composé d’une variété de plantes, de couleurs, de douceurs, de beautés infinies dont, unis, rassemblés par la même misère, ils vont nourrir leurs pauvres corps et coeurs fracassés.
Jusqu’à ce qu’ils redeviennent, – et c’est là, je trouve la belle et forte idée de ce livre – au fil du temps et des années qui passent, finalement, des personnes très ordinaires…
C’est un livre parfait pour se dépayser, découvrir cette curieuse histoire, méconnue, de cette colonie juive qui s’est inventée là où personne ne l’attendait, et puiser dans cette histoire un peu de cette force et de cette énergie dont tous les protagonistes font preuve en des temps où l’adversité se montrait encore bien plus inventive qu’à présent…
Cerise sur le gâteau, en milieu de parcours, nous avons le plaisir de contempler les photos des évènements et des lieux et des gens, à cette époque et puis maintenant, les vestiges du récit. Une sorte de visite archéologique de l’endroit et de la vie de ceux qui l’animèrent.
Je lis que ce volume, qui se termine sur un extrait du journal de Ruth, la fille du couple mythique d’Almah et Wilhem, a eu une suite, où l’on peut la retrouver, et c’est la promesse d’un nouveau bonheur de lecture ! Cette suite s’appelle « l’Américaine » !