Aux filles du conte

C’est un mince petit livre de Thomas Scotto, paru aux éditions du Pourquoi pas ? qui mènent de plus en plus un travail sur mesure pour certains textes exigeants, un peu à part, ce qui est le cas de celui-ci.
Thomas l’a dédié à son amie Anne Sylvestre et mis en exergue ces mots-d’elle ( ces modèles…)
 » J’étais celle qui attend
Mais je peux marcher devant
J’étais la bûche et le feu
L’incendie aussi je peux »
Dans  » une sorcière comme les autres », beau titre s’il en fut ! ( ou fût si l’on veut mettre sur le u un petit chapeau mais il n’est pas pointu !)

J’étais une peur bleue…
dit la première phrase, et est esquissé, juste à côté, d’un trait fin et ombre bleue, une petite fille aux longs cheveux. Avec un petit pois vert dessous, comme dans  » La princesse au petit pois ».
Le texte, poétique, fait l’inventaire des petites filles des contes, qui toutes auront connu cette peur terrible, de se perdre dans les forêts, de se voir disparaître carrosse et beaux habits pour retrouver haillons et citrouille, d’être testée par un amateur de petits pois, de disparaître derrière un rideau d’épines, d’être endormie pour une presqu’éternité. Que d’épreuves pour donner peur aux petites filles ! Faut-il qu’elles en montrent du courage et de la persévérance pour rien moins que devenir ce qu’elles sont !
A présent, dit celle-ci, à présent je préfèrerai la fuite ( entendez course ! plutôt, car plus rien ne l’effraiera. Elle a eu assez peur comme ça ! ) Elle ne s’effacera plus devant les puissants et les forts, ni même les princes ensorceleurs, elle  » nagera à contre-courant « 
 » Je serai le chemin, le voyage et l’ivresse » s’emporte -t-elle dans un bel élan.

Les petites filles des contes s’affranchissent des codes, et l’écrivain, tous les écrivains, peuvent l’applaudir, la soutenir, cesser de la mettre dans des situations impossibles, de leur donner, sur le conseil avisé de vieux bonhommes de lettres, les apparats du conte : une mauvaise situation de départ, une quête à mener, pleine d’embûches dont elles ne pourront se dépêtrer qu’avec l’aide  » d’adjuvants » bien intentionnés, fée, sorcière, prince, petits nains, magicien…
A bas le schéma du conte, ce terrible corset qui les a des siècles enfermées et les auteurs avec elles !
A présent, elles comptent sur-elles-mêmes, et nous contons avec elles,  » plus jamais évaporées, écrasées, avalées ni perdues »

« Je serai l’horizon rouge  » dit crânement la petite fille- autrefois toute de peur bleue du conte renversé de Thomas Scotto.

C’est un texte très bref, très dense, illustré et mis en page soigneusement et brillamment par Frédérique Bertrand. J’ignore ce qu’en penseront les petites filles, si elles se priveront facilement de l’attirail habituel des princesses en détresse, si elles ne continueront pas – encore un peu de temps monsieur le bourreau- à préférer le rose bonbon, le prince à mériter et les paillettes. Mais l’injonction de Thomas, j’espère, trouvera un bel écho auprès de tous ceux et celles qui écrivent pour les enfants.

On pourra, bien sûr, inverser un peu les rôles, ce ne serait que justice que le prince ait une peur bleue d’être tué par une marâtre, devoir nettoyer toute la maison du sol au plafond et s’appeler Cendrillon ( ça va tout aussi bien, comme prénom, à une fille qu’à un garçon !) et se retrouver à poil à minuit et sans sa bagnole s’il a perdu sa montre !
Mais je prêche, tant qu’à faire, pour d’autres structures, moins évidentes, d’autres renversements, moins simplistes.
Car j’ai toujours détesté  » les schémas narratifs » qui corsètent les histoires, les empêchent de prendre des chemins de traverse, d’être heureux de se perdre, d’arriver n’importe où et s’en trouver fort bien, j’applaudis des deux mains !
( je ne sais pas pourquoi ça s’est mis en bleu et souligné, et je n’arrive pas à l’enlever ! Chouette ! Les petites filles se marrent comme des chipies, me prennent au mot et font n’importe quoi de mon texte !)


J’aimais pas la récré !

C’est un livre écrit par Erik Poulet-Reney, et paru aux éditions Oskar, dans la collection poche « C’est ma vie ! » ce qui en annonce la couleur.
Il va en effet s’agir de la vie – ou plutôt de la survie – de Samuel, écolier des années 70 dans une école
mixte de village. Les garçons le devinent plus fragile qu’eux, lui empoisonnent l’existence, le brutalisent, le rejettent. C’est seulement au coeur du petit cimetière et des enfants morts – nés, devenus des anges, que Samuel éprouve un sentiment de paix, de réconfort. Les petits morts ne lui demandent pas d’être ceci ou cela, ne le jugent pas. Peut-être, d’une certaine façon, l’enfant dont le coeur meurt à petit feu sous les
coups et blessures infligées par ses contemporains, se sent-il souvent plus près des morts que des vivants.
Erik P. Reney raconte l’enfer subi.
Les vexations, les insultes, les attaques en règle, les pauvres tentatives de Samuel pour désamorcer ces bombes de haine dont les éclats le déchirent, et surtout, cette interrogation toujours sans réponse : – pourquoi ? Pourquoi cette haine-là contre moi qui ne ferait pas de mal à une mouche ? Quel atroce anomalie est-ce que je porte, en moi, invisible pour moi mais évidente à tous les autres garçons ? Est-ce dans mes vêtements ? Dans ma voix ? dans mon regard ?
Il sait qu’il n’est pas un garçon comme les autres. Même s’il s’entraîne comme un sportif de haut niveau pour le devenir, espérant, qu’un jour, à force de volonté – ou d’être devenu champion dans l’art de la dissimulation – rien ne le distinguera plus vraiment des autres.
C’est ce qu’il croit, ô joie, à ses premiers mois de collège, nouvel élève parmi tous les nouveaux. Mais ça ne dure pas. A nouveau, il est mis à l’écart – et même par le prof de sport, qui le maltraite.
Heureusement, au collège, il y a une fille, Elsa, ostracisée elle aussi, toute recroquevillée sur elle-même.
Une petite fille placée chez deux vieilles personnes, en famille d’accueil. Ils continuent de se faire insulter, mais à deux ! « Frère et soeur de souffrance. » Est-ce ainsi moins douloureux ainsi ? Non, pas vraiment, les souffrances ne se partagent pas mais plutôt s’ajoutent…
Jusqu’au jour où tout va sortir ! Dans une rédaction, d’abord, puis dans un cahier où Samuel va tout dire, dénoncer la maltraitance, la malfaisance, les brimades et vexations subies, tous les  » papillons noirs » qu’il tente d’oublier en dansant seul devant son miroir…
Les mots sont entrés dans sa vie, eux, espère-t-il, ne le trahiront pas, et peut-être même, s’il se laisse porter par eux comme par une longue, immense vague, surfera-t-il, heureux, délivré du poids de la méchanceté des autres et de l’indifférence du monde.
Mais après une énième attaque, celle de trop, malgré le secours de la confession dans le cahier, Samuel, à bout de force, s’enfuit. Vidé.
Avez-vous remarqué que toujours, quand on prend la fuite, à un moment, inévitablement, on « tombe » sur l’eau ? Un puits, une mare, une rivière, un fleuve, la mer… Quelque chose de liquide et de profond, qui coule sans fin, comme les larmes qui viennent du fond du coeur et des yeux…
Samuel longe le fleuve…

Cette histoire, on sent qu’Erik P. Reney l’a longtemps portée en lui avant de la lâcher, comme l’enfant qui l’a vécue aurait lancé une bouteille à la mer. L’auteur ne demande plus secours pour l’enfant Samuel, c’est trop tard ; mais grâce à son récit, sans doute décidé d’un coup, écrit dans l’urgence, comme en apnée – il semble parfois que les mots se bousculent pour sortir comme les enfants prisonniers toute la journée se bousculent à la grille de sortie – la bouteille devient une arche de Noë où embarquer tous les enfants maltraités, à la récré, ailleurs et partout ; tous les enfants humiliés d’aujourd’hui et toujours à sauver.

Ce à quoi s’emploie généreusement l’écrivain d’aujourd’hui.