Je dois dire que j’ai souvent décidé de me remettre à lire un livre ou un autre de l’écrivain américain Henry James, ayant souvent commencé et le plus souvent jamais terminé ses romans. A chaque fois, le début et l’écriture me fascinent, et puis à mi chemin, je cale. Un peu comme avec Marcel Proust dont il est d’ailleurs, peu ou proust ! absolument contemporain. Est-ce le fait, peut-être, que tous deux ont mené des vies très éloignées de celles de la moyenne des gens, vivant tous deux dans les conditions matérielles très confortables de la bonne bourgeoisie de leur époque, sans souci trivial de fin de mois et de paiement de loyer ou de gaz, ni même celui de se préparer à manger ? Est-ce parce que chaque texte sent tellement l’esthétisme anglais ou français, est tellement » raffiné » que cela m’éloigne de sentiments que j’ai pourtant éprouvés, et que je pourrais donc, à priori, facilement partager ?
Sentiments distingués : c’est ce qu’on écrit au bas d’une lettre officielle.
Il me semble que ces mêmes mots pourraient se retrouver en bas de chaque page de ces deux auteurs.
Mais, j’ai rédigé une toute petite bio de George Sand pour Bayard ( voir dans mes parutions) et je ne me suis pas servie de ces réflexions qu’Henry James avait mené sur elle, ne l’ayant pas trouvée en bibliothèque au moment où j’y travaillais.
Je suis tombée dessus récemment, et l’ai lue. Et avec grand plaisir ! Y retrouvant exprimées mieux que je n’aurais su le faire, les réflexions très fines et très joliment écrites que lui ont inspirés à la fois la vie et l’oeuvre de George Sand. Il en admire l’audace féminine, la profusion des publications que lui ont inspirées ses rencontres amicale, amoureuses, ou simplement humaines, son désir de transparence jusqu’à ne pas craindre ni de briser certains tabous, ni d’avouer son humaine faiblesse, ses contradictions, ses doutes…
Bref, il aime George Sand, ce qu’elle est comme ce qu’elle écrit qui d’ailleurs, le plus souvent se confondent. Et il loue grandement son absence de calcul et d’avides ambitions, sa seule avidité étant d’aimer et d’être aimée.
Il va jusqu’à lui reconnaitre et absolument du génie.
Bien sûr, il n’échappe pas totalement à la vision machiste de son époque, déclarant que son génie est féminin, mais que sa force, sa véhémence, son énergie, toutes qualités absolument viriles et que par exception elle possédait, ont été à la base de faire de cet femme -écrivain, un génie<; bref, elle doit son exceptionnel destin de diva et d’écrivain si bien inspiré à des qualités par essence, masculines…
Mais ce qui m’a touchée, et vient contrarier ce que j’ai exprimé au début de cet article, c’est qu’il trouve remarquables et ne s’en moque nullement, les débuts de George – avant qu’elle ne fût George Sand- ceux ou elle cherchait vulgairement un emploi, se demandait ce qu’elle pourrait bien faire pour gagner un peu d’argent et assurer ainsi son indépendance, peignant de petits éventails et boites à gants ou autres avec un petit talent, et qu’elle fut bien soulagée et bien reconnaissante en découvrant qu’elle pourrait gagner sa vie en écrivant.
L’absence de condescendance de James, expliquant les débuts de George, m’a plus que plu, elle m’a émue.
Ainsi que sa description imagée du style de George, qui dès l’entrée, sonne juste, et sent bon !
» Elle écrivait comme le oiseaux chantent » dit-il. Et c’est tout simplement vrai.
» Sa langue eut jusqu’au bout un parfum de bruyère et de chèvrefeuille »
Et c’est tout simplement vrai.
Il admire la composition naturelle de ses écrits, la souplesse de son style, elle dit que c’est comme un don du ciel, il pense cela également et il loue grandement « son bon caractère », le fait qu’elle ne pontifie pas, même sur les grandes choses, ne soit jamais, en ses succès, vaniteuse, en ses échecs, pleine d’aigreur.
Qu’elle ne s’illusionne sur rien, ni sur ce qui a fait son succès, ni sur ce qui – quand la mode sera passée, le défera, et que ni ceci ni cela jamais ne l’empêche d’écrire comme elle en a envie et comme elle le sent.
Bref, il lui reconnaît si grand talent, si sincère, qu’elle est une des rares auteurs capable de traiter de la laideur comme de la beauté, et ainsi de presque tout.
Ce tout petit essai est paru au Mercure de France et en dit tout autant sans doute sur Henry James – ce qu’il admire et ce qu’il méprise, déteste- que sur George Sand…
A signaler qu’Henry James fut américain mais passa une grande partie de sa vie à Londres et prit la nationalité britannique un an avant de mourir !