Qu’on s’interroge sur ce qui est donné à lire aux enfants, c’est une bonne chose. Que les médias s’y intéressent, est un événement à marquer d’une plume blanche ! Quel plaisir il y a, pour une fois, à essayer d’expliquer ce que l’on fait, et comme cela est beau, et difficile !
Et si monsieur Copé ou tout autre tout à coup s’effraie de ce qui est donné à lire aux enfants, à l’école, ou ailleurs, qu’il soit rassuré ! Nous, auteurs – jeunesse, c’est à chaque livre que nous avons peur !
Que dire et comment le dire ? Que taire, et pourquoi le taire ? Ce mur, faut-il le franchir, faut-il y faire une brèche, faut-il seulement s’appuyer dessus ? Est-ce que ce que je viens d’écrire sonne tout à fait juste, résonne juste, là, à hauteur du cœur d’enfant qui bat encore au fond de mon cœur de grand ?
Qu’il y ait de la mauvaise littérature- jeunesse comme de la mauvaise littérature tout court, qui le contesterait ?
C’est la crainte terrible de chaque auteur de commettre un mauvais
livre ! Il s’imagine que l’éditeur sera son garde-fou et saura le lui dire, mais l’éditeur, lui, sait que ce ne sont pas forcément les meilleurs livres qui vont bien se vendre, et il a besoin de vendre, pour ne pas crever la gueule fermée… Alors oui, il peut commettre un mauvais livre.
Mais il a un garde-fou l’éditeur : le libraire ! Qui peut adhérer ou non à sa proposition. Seulement le libraire est comme l’éditeur, il doit vendre lui aussi…
Heureusement, le libraire, a également un garde-fou ! L’acheteur, qui peut ne pas acheter, le lecteur, qui peut ne pas lire….
De tout cela, en tout cas, il ressort que l’auteur ne peut s’absoudre d’essayer de juger honnêtement, par lui-même, de la teneur et de la valeur de ses propos. Etre absolument honnête dans ce qu’il dit, pense, écrit. Penser, écrire au plus juste. Parce qu’on ne sait ni par qui l’on sera lu, ni ce que le lecteur comprendra, dans le fond, à cette histoire, comment il l’arrangera à sa façon.
Je rencontre parfois, maintenant, d’anciens enfants qui me disent tout ce qu’ils doivent à l’une de mes histoires. Certains ( certaines, d’ailleurs, surtout) me disent que tel texte lu à 10 ans, a changé, profondément, leur vie. Leur a donné de l’espoir, ou envie de, a changé leur regard, a mis des mots sur leur désarroi, leur solitude, leur peur. Les a aidés à devenir ce qu’ils sont maintenant, et qu’ils me disent, généreusement.
Alors comment l’écrivain pour enfant pourrait-il écrire sans douter, sachant l’enjeu ? Il doute, donc. Et c’est tant mieux.
Jusqu’au bout, il doute. Il espère, et il doute, en même temps et tout autant l’un que l’autre.
Et l’éditeur doute aussi, et espère de même, le libraire doute encore, et espère tout autant, il est important que chacun soit sur ce fil tendu entre doute et espérance, jusqu’au lecteur, qui tranchera.C’est ce doute-là, et son corollaire d’égale puissance, l’espérance, qui porteront chaque envol d’un nouveau livre, fragile comme le vol du papillon.
Nous, auteurs, faisons-nous tout petits devant ce miracle- là. Toujours plus petits. Car être vraiment un écrivain pour les enfants, c’est cela :
se mettre à hauteur des plus petits, des plus faibles, des sans mots pour dire, des presque rien du tout, des écrasés.
Prenons le moins de place possible, avec nos grosses têtes, nos grands pieds, notre grande langue, l’histoire n’en sera que plus grande, plus belle, plus forte. (Je le dis pour les auteurs-jeunesse, mais aussi pour les autres, qui n’écrivent ni mieux ni plus mal que nous…)
Nous, auteurs, nous n’avons aucune importance. Ou très peu.
C’est par nous que l’histoire a choisi de passer, et nous avons fait de notre mieux, c’est tout.
C’est ce que je dis à ces milliers de jeunes rencontrés au fil des années :
jeunes auteurs en puissance ( comme le mot est mal venu !!), jeunes lecteurs par choix ou par obligation. Ils ont du mal à le croire, parce que l’époque n’est pas à l’humilité. Alors je le leur répète, inlassablement. Les auteurs ne savent pas tout, et même souvent pas grand-chose. Ils tâtonnent, se perdent et retrouvent leur chemin dans les mots comme les perdus dans les grands bois. Ecrire n’est pas exercer une toute puissance sur les êtres, les choses, les mondes ; au contraire. Nous essayons seulement, par l’écriture, de les rendre visibles, vivants, et de les mettre en lumière avec tout juste assez d’ombre pour qu’on puisse, si le cœur nous en dit, les rejoindre en secret.
Les histoires peuvent tout raconter, certaines entrent en nous et ne nous quittent plus, d’autres non. Les histoires disent à chacun quelque chose de différent, quelque chose d’unique, que l’auteur de toute façon n’aura même pas prévu ! Car le cœur de chaque lecteur a ses raisons qu’aucun auteur, aucun éditeur, heureusement, ne devine jamais tout à fait.
Que le livre et les histoires chamboulent encore le monde, les petits, les grands ! Les fasse rire, sourire, pleurer, s’interroger, s’indigner, rêver. Et même, pourquoi pas, comme les pommes, rougir !
Quel bonheur d’écrire pour vous, les enfants !
C’est si grand la littérature pour les petits !