PETITE

Ce texte a été publié, brièvement, par les éditions de l’Escabelle, dans un recueil qui rassemblait des témoignages autour des mots de la devise : liberté, égalité, fraternité. C’est donc un témoignage, vécu.

 

 

PETITE

Jo Hoestlandt

 

Petite, j’ai oublié ton visage…

J’ai oublié ton sourire et tes yeux, je n’ai pas su ton nom, et je le regrette un peu…

Tu étais en CM2, où ? Je l’ai oublié aussi, quelque part dans le nord de la France, je crois, vers Arras,  ou Douai, je n’ai jamais été forte en géographie…

Le meilleur moyen de voyager, pour moi, cela a toujours été de me laisser emporter par les mots, de tourner les pages des livres comme on ouvre des portes qui donnent sur d’étonnants paysages.

Bref, c’était quelque part, en France, il faisait froid dehors et chaud, dans la classe qui m’accueillait. Les enfants avaient préparé, comme cela se fait le plus souvent, des questions, qu’ils me posaient, sur ma vie d’écrivain, mes livres, mes goûts et mes couleurs… Et je répondais à chacun, avec toute la sincérité requise, pour que tous, nous sortions satisfaits de cette rencontre.

Les questions étaient les mêmes que d’habitude : – qu’est ce qui vous a donné envie d’écrire ? Est-ce que vous étiez bonne en classe quand vous étiez petite ? Est-ce que vos parents vous ont aidée à devenir écrivain ? Combien de temps vous mettez pour écrire un livre ? …. Les enfants posent toujours les mêmes questions, mais je ne donne pas toujours les mêmes réponses, cela dépend de mon humeur du jour, des souvenirs qui affleurent, du temps qu’il fait…

Cependant, ce jour-là, une petite fille dont j’ai oublié le nom, le visage, le sourire, les yeux, tout sauf les mots qu’elle a prononcés, une petite fille, donc, a cassé la monotonie du jeu question-réponse par cette interrogation :

  • Quelle lettre vous préférez ?

Jamais personne ne m’avait demandé cela, et pourtant, c’était une vraie question, pour un écrivain ! J’avais écrit, depuis plus de 50 ans, des milliers, des millions de fois chacune des 26 lettres que compte notre alphabet, et bêtement, je ne m’étais jamais posé cette simple question : – quelle lettre, dans ces 26, préférais-je ?

Mystère et boule de gomme !

J’ai remercié la fillette pour cette très jolie question et j’ai essayé d’y réfléchir à fond et en vitesse, car les autres enfants, le bras en l’air comme pour toucher le plafond et même le ciel à travers le plafond,  attendaient le moment où ils pourraient poser leur propre question.

Enfin, je me suis décidée, et j’ai répondu : – écoute, je vais te dire le O. Parce qu’il fait un cercle, comme quand on entoure quelqu’un avec nos bras, et comme j’aime tenir les gens que j’aime embrassés… Alors voilà, je crois que c’est une bonne raison d’aimer le O, tout simple… c’est d’ailleurs la lettre que les tout petits enfants apprennent à dessiner en premier…

Je me souviens que la petite fille m’a souri et j’ai pensé que ma réponse la satisfaisait. J’ai pris une autre question, à laquelle j’ai répondu, une question puis une autre, comme on m’en pose tout le temps : – est-ce que des fois vous n’avez plus d’idées, madame ? Est-ce que vous écrivez avec un stylo ou sur un ordinateur ? Est-ce que vous faîtes encore des fautes d’orthographe ?

Mais j’ai vite remarqué que la petite fille futée qui m’avait posé la jolie question inusitée venait, à  nouveau, de lever la main. La maîtresse l’avait vue aussi et l’interpelait :

– oh, non, toi ça suffit, tu as déjà posé ta question ! Aux autres, maintenant.

Mais la petite fille ne s’est pas laissé démonter par la remontrance de la maîtresse et, la main toujours levée avec l’index toujours pointé pour crever le plafond, elle a objecté : – Mais c’est la même question ! Je voudrais juste ajouter quelque chose !

La maîtresse a bougonné, je n’ai pas bien entendu, mais j’ai demandé à la fillette obstinée : – bon, alors vas-y, que veux -tu ajouter ?

Et elle a eu cette réponse, merveilleuse, lumineuse : – vous avez dit que votre lettre préférée, c’était le O, parce qu’il vous permettait d’entourer les gens de vos bras… Mais…  est-ce que le C, ce ne serait pas mieux ?… Parce qu’il ressemble à un bras qu’on pose sur l’épaule de quelqu’un qu’on aime, mais cela serre moins, ça ne l’empêche pas de partir… Et puis c’est la première lettre du mot « cœur »…

J’ai regardé cette petite fille, au fond de la classe, cette petite fille que je ne connaissais pas, qui n’avait l’air de rien, mais qui savait cela, déjà : qu’on ne retient jamais ceux qu’on aime en les enfermant, fût-ce dans des bras aimants…  J’ai eu l’impression d’un éblouissement, cette petite fille-là savait, d’instinct, ce que des millions d’adultes n’apprennent qu’avec douleur, ou même, ne savent jamais. Elle disait la vérité, simple, et belle :  chacun est libre, d’aller, de venir, de partir, de revenir, d’aimer ou pas, rien ne doit nous obliger, jamais, on doit toujours avoir le choix.

J’ai répondu, sincèrement émerveillée : – Mais comme tu as raison ! Comme je suis bête avec mon O refermé sur qui je tiens embrassé ! Tu as mille fois raison ! Le C est mille fois à préférer ! Il dit qu’on accompagne, qu’on protège, qu’on met le bras sur l’épaule, mais ça « serre » moins, ça n’empêche pas l’autre de partir…

Je sais qu’elle m’a souri, un grand sourire, qu’elle m’a offert comme un bouquet de roses, éclatant.

Les questions ont repris, sans surprise. J’ai tâché, moi aussi, de reprendre le cours des choses mais pendant quelques secondes, mon cœur avait battu autrement, comme celui de quelqu’un qui, enfonçant sa pelle pour jardiner tranquillement, aurait soudain heurté une boîte mystérieuse, un trésor…

Quand la rencontre a été terminée, les élèves sont sortis. La petite fille s’est arrêtée et a posé sur le bureau, devant moi, une petite médaille de la Vierge. Et elle m’a dit : – c’est pour vous accompagner, sur votre chemin…

Et elle est partie.

La maîtresse alors a déclaré à mon intention : – c’est une enfant du voyage, une petite Rom, j’en ai trois dans la classe, en ce moment…

Une enfant du voyage ! Voilà pourquoi elle s’y connaissait si bien en liberté !

Quand j’ai entendu, il y a peu, tout ce que l’on reprochait à cette population des gens du voyage, j’ai repensé à cette petite fille dont je suis terriblement honteuse d’avoir oublié les yeux, le visage, et le nom. Mais, s’il vous plaît, laissez-nous les gens du voyage.  Sinon, comment nous souviendrons-nous que la liberté a des semelles de vent et que rien, surtout pas l’amour, ne doit jamais retenir personne contre son gré.

 

Jo hoestlandt

les enfandises

Dans cette catégorie, je vous proposerai des « enfandises » sortes de gourmandises à déguster, fruits de mes nombreuses rencontres avec des enfants dans les écoles, collèges, médiathèques, ateliers d’écriture. Des mots qui étonnent, font sourire, ravissent, émeuvent, dont tout écrivain se régale ; et parfois, je partagerai avec vous un souvenir, une anecdote, qui m’a fait réfléchir. Ce sera comme ça vient, en désordre, comme ça, en passant.

Après une discussion sur la guerre, thème de plusieurs de mes livres :

« – La guerre, c’est quand les méchants tuent les autres. Et les gentils aussi, mais un tout petit peu. »

– » A la guerre, il y a des méchants qui tuent, et avant, en plus,ils cassent les bras, ils cassent les jambes ! Il y a même des oeils crevés ! ça serait bien si c’était juste les méchants qui étaient morts, mais des fois, y’a des maladroits qui tuent des gentils.

.-. »A la guerre, les enfants, ils peuvent rien faire du tout ! Ils ont même pas de masques pour faire peur !  »

Et après ?

« – Moi, je connais quelqu’un qui fait du bien aux autres. C’est mon père ! quand ilfait des spaghettis à la bolognaise ! »

« – Quand le malheur est fini, on lâche les confettis ! »

– » Je crois que les poissons sont heureux de nager, finalement !  »

– » un ami, c’est comme une pomme qu’on ne doit pas croquer pour la garder à tout   jamais  »

Sur les parfums, les odeurs : – » ma colle, elle sent une odeur de médicament. Mais pas n’importe lequel … De médicament IMPORTANT !

Classe de CP ; chacun parle de son nom :  » Je m’appelle Angélique, mais je ne sais pas bien l’écrire… J’ai du mal avec mon Q ! »

Sur les histoires qu’ils lisent : – » L’histoire des trois petits cochons, moi, ça m’a toujours fait pleurer… »

– » L’histoire du Petit Poucet, c’est une famille qui se sépare…  Je trouve extraordinaire des familles qui ne se séparent pas. Moi, ce  n’est pas le cas. »

Je me souviens de cet enfant en région rémoise, qui s’obstine à appeler mon éditeur : « ton dictateur,… »

Faire un abécédaire ? Moi : »- donnez moi un mot qui commence par P ! Comme papa ! Un enfant me crie : – Musaraigne !  »

« – Dans la classe, quand on parle tous, toutes les voix sont mélangées comme les fruits dans une salade de fruits ! »

Quelques enfants de milieu très modeste me sont confiés, pour une journée. On lit, ils me racontent, ils inventent, je mets mon grain de sel, on touille. Et puis, à partir de cela, je construis une petite histoire, faite de tout ce qu’ils ont pensé, dit, imaginé. Et je leur lis. Ils se taisent. J’ai fini, ils se taisent toujours, me regardent, perplexes. Devant leur regard, leur absence de réaction, je m’étonne bien sûr, et je leur demande :- » Alors ? Vous en pensez quoi de cette histoire ? » Ils ne pipent pas mot. Et puis, une des petites filles me dit : – C’est pas notre histoire ! C’est pas ce qu’on t’a raconté…  » Alors là, c’est à mon tour de me montrer perplexe, embêtée. – » Mais si, bien sûr ! Regardez : ça, c’est Thomas qui l’a dit. Cette phrase, c’est Céline, et ça, c’est bien toi, Akim, non ? » Et je leur redonne l’origine de chacune des phrases. Alors ils les reconnaissent, leur regard s’éclaire, ils me sourient. Mais moi, le nez sur mon texte, vaguement désappointée par cet texte à présent, j’observe alors : – c’est bizarre, ça, quand même, que vous n’ayez pas reconnu votre histoire quand je vous l’ai lue !  » Silence. Et puis une des petites filles me dit : – je crois que c’est parce que, maintenant que tu l’as écrit, ce qu’on t’a dit, c’est beau…

 

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